Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/552

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Partout le droit du poing, l'horreur, la violence.
Le soc qu'on foule aux pieds se change en fer de lance;
Les faux vont à la guerre et laissent la moisson.
L'incendie est partout. En chantant sa chanson,
Tout zingaro qui passe au seuil d'une chaumière,
Cache sous son manteau son briquet et sa pierre.
Les Vandales ont pris Berlin. Ah! quel tableau !
Les païens à Dantzig ! les Mogols à Breslau !
Tout cela dans l'esprit en même temps me monte,
Pêle-mêle, au hasard ; mais c'est horrible!... — ô honte!
Plus d'argent. Tout est mort, pays, cité, faubourg.
Comment finira-t-on la flèche de Strasbourg?
Par qui fait-on porter la bannière des villes?
Par des juifs enrichis dans les guerres civiles.
Abjection ! — L'empire avait de grands piliers,
Hollande, Luxembourg, Clèves, Gueldres, Juliers...
— Croulés ! — Plus de Pologne et plus de Lombardie !
Pour nous défendre au jour d'une attaque hardie,
Nous avons Ulm, Augsbourg, closes de mauvais pieux!
L'oeuvre de Charlemagne et d'Othon-le-Pieux
N'est plus. Notre frontière à l'Occident s'efface,
Car la Haute-Lorraine est aux comtes d'Alsace,
Et la Basse-Lorraine aux comtes de Louvain.
Plus d'Ordre teutonique. Il ne reste à Gauvain
Que vingt-huit chevaliers et cent valets de guerre.
Cependant le Danois menace; l'Angleterre
Agite gibelins et guelfes; le Lorrain
Trahit; le Brabant gronde; un feu couve à Turin;
Philippe-Auguste est fort; Gênes veut une somme;
L'interdit pend toujours; le saint-père dans Rome
Rêve, assis dans sa chaire, incertain et hautain ;
Et pas de chef, grand Dieu! devant un tel destin!
Les électeurs épars, creusant chacun leur plaie;
Chacun de leur côté couronnent qui les paie;
Et, comme un patient qui, sanglant, déchiré,
Meurt, par quatre chevaux lentement démembré,
D'Anvers à Ratisbonne, et de Lubeck à Spire,
Font par quatre empereurs écarteler l'empire ! —
Allemagne! Allemagne! Allemagne! Hélas...

Sa tête tombe sur sa poitrine; il sort à pas lents par le fond du théâtre. Otbert, qui est entré depuis quelques instants, le suit des yeux. Le mendiant s'enfonce sous les arcades de la galerie.

Tout à coup le visage d'Otbert s'éclaire d'une expression de joie et de surprise. Régina apparaît au fond du théâtre, du côté opposé à celui par lequel le mendiant est sorti. Régina radieuse de bonheur et de santé.