Page:Ibsen - Le Canard sauvage, Rosmersholm, trad. Prozor, 1893.djvu/192

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rait presque dire avec une tristesse de scalde chantant les choses qui s’en vont. On retrouve dans ce drame l’accent qui vibre dans les vieilles ballades scandinaves et que M. Leconte de Lisle a si bien saisi. Une fois de plus, Ibsen répète la question jadis posée dans son poème dramatique de Brand : « La race peut-elle être sauvée ? » — Hélas ! répond-il à regret, en fixant les yeux sur ceux que Rosmer représente, hélas ! ce ne sera pas par vous. Je connais vos vertus et vos charmes : il n’en est pas de plus grands dans ce monde condamné. Mais il y a un malheur : vous êtes impuissants. »

Ce sont là choses qu’on n’aime pas à s’entendre dire. Aussi le poète déchaîna-t-il bien des colères, encore accrues par la déception qu’il avait causée.

Il est juste d’ajouter que, chez quelques-uns, l’indignation ne fut pas exclusivement provoquée par un esprit de caste. On se demanda ce que visait à vrai dire le nouveau trait lancé par ce redoutable joûteur. N’est-ce pas la caducité des croyances établies, n’est-ce pas même leur action énervante, attristante sur l’âme humaine, oui, pour tout dire, n’est-ce pas le germe de faiblesse qui gît dans notre civilisation chrétienne qu’Ibsen indique avec une attitude pleine de respect pour cette grandeur qui s’éteint, mais aussi avec une insistance qui ne laisse guère de doute sur sa pensée ? « Rosmersholm ennoblit, mais il tue le bonheur. » Or il faut du bonheur, de la joie de vivre pour nous rendre nos énergies. Cette joie de vivre, où l’a-t-il donc aperçue ? N’est-ce pas dans ce monde latin que la pure doctrine évangélique accuse de sacrifier aux idoles ? C’est aux bords du golfe de Naples, où passent encore des souffles païens, que le poète a écrit les Revenants. Dans Rosmersholm, enfin, cette Rébecca qui