Page:Ibsen - Une maison de poupée, trad. Albert Savine, 1906.djvu/18

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Bigeon[1] veille, obscure ou brillante, cette idée évangélique, allumée au flambeau biblique, qu’on ne peut se conduire au hasard et sans guide, et que les élus sont rares qui, ayant marché dans une nuit profonde et pendant longtemps, trouvent enfin par grâce spéciale, la vraie lumière qu’ils ne cherchaient pas.

« Et c’est pourquoi les uns et les autres ont le respect de la gravité de la loi morale qu’ils s’imposent ; pourquoi les écrivains, bons ou mauvais, qu’ils lisent et les pasteurs qu’ils écoutent leur parlent en un langage si fort des redoutables problèmes de la vie. Le génie luthérien les a pénétrés ; la doctrine luthérienne a pétri leur âme, — ce peuple est un peuple austère et méthodique, sectaire. Aussi, vivre, ce n’est rien autre chose « qu’avoir une vocation ».

« Connaître quelle est sa vocation, la bien remplir, et sans faiblesse, — telle doit être la substance cachée des pensées et des actes d’un être humain, quel qu’il soit.

« Or, pour qui veut connaître sa vocation, il faut réfléchir, et, pour réfléchir, beaucoup discuter. On ne doit se décider qu’à bon escient, et l’esprit calme. Et, pour mieux assujettir en son âme l’idée à qui désormais sera suspendue toute la vie morale, il la faut dépouiller des draperies illusoires dont la couvre un art raffiné.

« Étonnez-vous, après cela, qu’une jeune Norvégienne de classe moyenne puisse avoir comme presque toujours il arrive, la même liberté dans la parole et dans la pensée que dans ses mœurs journalières ; qu’elle marche seule, ignorant peu de chose et ne craignant rien, sans qu’on songe à l’arrêter et sans qu’on s’en étonne ; qu’elle parle chastement, sans

  1. Les Révoltés scandinaves de Maurice Bigeon sont, je crois, ce qu’on a écrit de plus compréhensif sur les écrivains du Nord.