Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/262

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ouvrages. Me voilà donc, moi qui suis venu à Home pour chercher un repos d’artiste, me voilà déjà en butte à des chagrins et à des contrariétés ! Voilà, mon ami, une de mes plaies, et la plus poignante, quand, dans cette affaire, je n’ai ni honneur ni profit ; quand je ne l’ai acceptée que pour le seul amour de l’art. Pour la gloire et l’immortalité des chefs-d’œuvre, j’étais et je suis encore d’avis, malgré tout, qu’on doit toujours les copier, oui, tous les jours, et toujours recommencer. Quoi que vous en disiez, vous êtes, au fond, de mon avis. S’il en avait été ainsi de tout temps, nous aurions (mal ou bien, qu’importe ?) nous aurions au moins l’idée, et certainement plus que l’idée des ouvrages d’Apelle et de tant d’autres grands maîtres de la Grèce. En voilà bien long, mais telle est ma pensée.

Quant à Sigalon, je l’ai loué, non outre mesure, mais je l’ai loué pour ce qu’il vaut. Je me suis plu à lui rendre justice, par la raison que je n’avais jamais loué en lui ce que je n’ai jamais pu aimer, sa propre peinture : mais ce qui m’a profondément surpris, c’est le talent et le courage qu’il a mis a copier Michel-Ange. Quoi qu’il puisse y avoir encore à désirer, il n’en a pas moins fait une œuvre presque impossible à mieux faire, une œuvre vraiment très belle et très mérite v oie. Je vous avoue que, comme peintre et comme Français, je lui en sais le plus grand gré, et je ne puis penser que cet ouvrage placé à son effet n’ait le droit de produire une immense sensation : ou bien alors nous serons tout à fait nel buio de la barbarie. De plus, vous saurez que ce n’est pas aux Thermes de Dioclétien qu’il le peint, mais bien dans la chapelle Sixtine où je le vois souvent, moi, de mes deux yeux, travailler. Il a aux Thermes un très mauvais hangar pour y déposer ses incroyables grandes toiles, puisqu’il est obligé de faire son ouvrage en trois morceaux. Ainsi, grande est la calomnie, comme, toujours au reste… (Fonds Delaborde).

J. Ingres.