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« Il ne s’est presque jamais rien fait de grand dans le monde que par le génie et la fermeté d’une seule personne qui lutte contre les préjugés de la multitude ou qui lui en donne », dit Voltaire. Oui, si son génie est bon, tant mieux ; mais, s’il est mauvais, comme a été le sien, voyez où cela conduit… À la barbarie, au désaveu absolu et de mauvaise foi de ce qui est à jamais le beau, le vrai, au dessèchement de l’âme et du cœur, au vide, au calme affreux d’une terre inhabitée.


L’invention est une des grandes qualités du génie ; mais, si l’on consulte l’expérience, on trouvera que c’est en rendant familières les inventions des autres qu’on apprend à inventer soi-même. Ainsi on s’habitue à penser en lisant les idées d’autrui. Le plus vaste génie que la nature puisse produire n’est pas assez riche par lui-même pour tout tirer de son propre fond. Celui qui ne veut mettre à contribution d’autre esprit que le sien propre, se trouvera bientôt réduit par une extrême pénurie à la plus misérable de toutes les imitations, c’est-à-dire à celle de ses propres ouvrages : il se verra obligé de répéter de nouveau ce qu’il a déjà répété plusieurs fois. C’est en vain que les peintres et les poètes cherchent à inventer si, avant tout, ils n’ont pas rassemblé des matériaux propres à exercer leur esprit et à faire naître chez eux des idées nouvelles. Rien ne produit rien. Il n’y a qu’à voir l’emploi qu’a fait le divin Raphaël de l’esprit de ses devanciers et ce qu’avait sûrement fait aussi Phidias.

Donc, on ne peut douter qu’un esprit, orné à la fois des trésors des Anciens et des Modernes, ne soit plus vaste et plus fertile en ressources, à raison du nombre des idées qu’il aura bien senties, et ne possède en cela les plus grands moyens d’invention.