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vos opinions ; et ce que vous entendrez dire aux autres, bon ou mauvais, me fera grand plaisir. Le bon Grégorius est d’accord avec vous sur l’effet de mes ouvrages. J’espère savoir par la suite le vrai sentiment de mes amis Bartolini et Dumai [1], à qui je vous prie de me rappeler, ainsi qu’au bon M. Simon et son aimable épouse. Je leur écrirai de Rome.

Je vous dois cependant compte de nos aventures depuis mon départ de Lyon, et je commence. J’ai traversé l’horrible Savoie la plupart du temps entre des gorges effroyables, au bord des précipices. Le temps avec cela est toujours malade ; car vous saurez que je le suis toujours en voyage ; mais, une fois arrivé, je me porte bien. Me voici au pied du mont Cenis ; je n’entreprends pas de vous décrire la beauté des Alpes ; à peine si je puis m’en rendre compte à moi-même, tant cela est beau, surprenant et donne une idée grande et sublime du Créateur. Je désirais voir des montagnes. Eh bien ! j’en ai vu. Figurez-vous un escalier tournant, voilà comme on le monte. La route est de la plus grande beauté ; il faisait alors le plus beau temps possible. La montée en est si douce qu’on ne s’aperçoit pas que l’on monte. Sur le sommet est un plateau qui a deux lieues de tour et dans lequel est un très beau lac ; alors il faisait très froid, même pour le descendre. Nous avons mis dix heures pour le passage et nous sommes arrivés à neuf heures du soir à Suze, première ville d’Italie. J’avais le cœur bien serré de ne me savoir plus en France. Ah ! monsieur, si vous saviez combien de montagnes, de villes, de rivières nous séparent, combien je suis loin de vous, mes chers amis, je ne puis supporter encore l’idée de n’être plus avec vous. Me voici donc en Italie. Nous n’avons quitté la chaîne des Alpes qu’à Turin, ville admirable. De là nous sommes arrivés à Milan,

  1. Sans doute Jean Dumet, élève de Regnault.