Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/60

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honte ; je suis victime de l’ignorance, la mauvaise foi, la calomnie, et je n’ai de vous aucune consolation, mes chers amis. Les scélérats, ils ont attendu que je sois parti pour m’assassiner de réputation. D’un jour à l’autre, suis-je changé, de peintre distingué, en un homme dont on ne peut regarder les ouvrages, dont l’effet met en furie, dont tout Paris s’entretient d’une manière affreuse ? Et je ne suis pas là, je ne peux me défendre ; je sacrifierais ma vie ou cette horde croassante de jaloux, d’ignorants, aurait cessé de crier. Mais, de grâce, par pitié, voyez mon désespoir ; je n’ai depuis mon arrivée à Rome aucune nouvelle de vous ; j’avale des couleuvres la nuit, et, le jour, je meurs d’ennui : jamais je n’ai été si malheureux. Est-il vrai que le peu d’amis et hommes de goût ayant pris ma défense n’osent à peine, depuis ce moment, aller au Salon ! Quel crime ai-je commis ? quel désastre ai-je fait naître ? De grâce, mes chers amis, que j’apprenne quelque chose de vous. Je savais avoir beaucoup d’ennemis, je n’ai jamais été complaisant avec eux et ne le serai jamais ; mon plus grand désir serait de voler au Salon et de les confondre devant mes ouvrages, qui ne ressemblent pas aux leurs ; et plus j’irai en avant, et moins ils leur ressembleront. L’estime de sa propre conscience et celle des hommes de grand talent, tels que Gérard, devraient me tranquilliser un peu ; mais le ridicule qu’ils emploient à me persécuter, accompagné de la fureur qu’ils y mettent et leur mauvaise foi et acharnement, me navre au point que je voudrais être mort ou être à Paris, et je prendrais la poste si j’en avais les moyens ; mais les lâches n’ont osé ourdir cette horrible trame que parce qu’ils m’ont su parti. Et, pour surcroit de malheur, rien de vous pour me consoler. Granger fait tout ce qu’il peut pour me donner courage ; il gémit de ce qui se passe et le conçoit aussi peu que moi. Mes ouvrages ont donc été repeints ? Je m’y perds. Par grâce, instruisez-moi alors si je me suis trompé et s’il est vrai qu’on ne voit