Page:Jaloux - Les sangsues, 1901.djvu/132

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— Ça ne se fait plus ! affirma Andréa. C’est devenu sujet de pendule…

— Justement, nous ferions revenir la mode. Et pour moderniser la chose, nous partirions en automobile. Hein ! le joli scandale ! un enlèvement en automobile !

En avançant prudemment, et presque en manière de plaisanterie, cette invitation, Sylvestre n’avouait pas qu’il y songeait depuis fort longtemps, et comme au seul moyen pratique d’épouser Virginie, que ses parents ne lui autoriseraient jamais à prendre pour femme, puisqu’elle n’avait ni capital important, ni même d’espérances, ni propriété quelque part, ni parents haut placés, ni invitations à faire donner dans une famille où il soit glorieux de dire que l’on a mangé, — non, rien, que sa beauté.

En terrifiant ainsi sa famille, il comptait bien la forcer à accepter une situation et un mariage auxquels elle ne pouvait qu’être hostile. Et la réputation des Legoff ne leur permettrait pas de commettre une mauvaise action publique, puisque la renommée, après l’enlèvement, aurait attribué à Sylvestre la fonction d’amant officiel auprès d’une jeune fille, dont ils eussent fait tous leurs efforts pour le détacher, si cette liaison était restée secrète, ou même peu connue.

La proposition de Sylvestre, qui scandalisait Andréa, réveillait dans le cœur de Virginie des accords lointains et des sonorités profondes et retentissantes. Elle touchait cette fibre du romanesque que chaque femme conserve au plus profond d’elle-même.

Virginie, toute frissonnante de la vision idéale qu’elle considérait, s’était levée dans un frémissement :

— Écoutez, Sylvestre, dit-elle, je vous en donne ma parole d’honneur, devant Andréa. Si jamais vous voulez que je parte avec vous, venez me trouver, je m’en irai. Je partirai, heureuse et libre, ne regrettant rien, je partirai sans rien vous demander, j’irai où vous voudrez, entièrement satisfaite, puisque je serai avec vous…

— Et ta réputation, Virginie ? Voyons ! que dira de toi la société ?

— La société ! Ah ! je serai fière d’avoir sa désapprobation ! On me méprisera, on me calomniera, on me détes-