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MOISSON DE SOUVENIRS

qui allaient, tête nue, sous le soleil. Jean aussi me demeura invisible. Mais je vis papa, oncle Ambroise et enfin… Ce fut Notre-Seigneur lui-même. Je m’abîmai dans une adoration frémissante.

La procession continuait toujours et maintenant, c’était la magnifique arrière-garde. Mais instinctivement, je regardais du côté où Notre-Seigneur avait disparu et alors, malgré eux, mes pauvres yeux de chair remarquèrent à la fenêtre de la maison voisine, un jeune homme dont le regard avait croisé le mien, à plusieurs reprises. Quoiqu’il me fût inconnu, quelque chose d’aimable qui émanait de lui, me sembla, à la fin presque familier. Réellement, il me remarquait et j’en demeurais gênée, tourmentée aussi, car je me jugeais honteusement frivole. Le Congrès s’achevait. Notre-Seigneur avait été porté en grande pompe et au milieu d’une imposante escorte, à travers nos rues. Les étrangers étaient venus. Non, en vérité, il ne convenait pas de se laisser distraire si tôt.

La procession était terminée depuis quelque temps, lorsque je me rappelai soudain, ma responsabilité de portière. Je descendais donc l’escalier intérieur, après avoir pris congé de ma tante, quand la porte de la rue s’ouvrit. Je reconnus le jeune voisin de tout à l’heure ; il m’attendait. Et quand je fus près de lui :

— Comment ça va-t-il, Marcelle ? fit-il en me tendant la main.

C’était Jean… Mais ses cheveux plus foncés, une légère moustache blonde, orgueil de ses vingt ans, me l’avaient tout d’abord rendu méconnaissa-