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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


toujours mauvaises… » ; Cochin monte à la tribune.

C’était, de beaucoup, l’esprit le plus fin de la droite, le plus avisé, bourgeois parisien de vieille souche, le fils du grand homme de bien, catholique et libéral, qui avait été l’ami de Montalembert et de Berryer et l’ennemi solide de l’Empire, lui-même ennemi déclaré de tout césarisme, l’ayant prouvé à l’époque de Boulanger où il avait refusé de suivre son prince dans la malhonnête aventure, chrétien convaincu, mais de dévotion aisée, l’esprit gai, vif, alerte, railleur, épris des choses de l’art, et du plus brillant et du plus audacieux, bon écrivain, homme de science à ses heures, fidèle à son parti, mais qui l’aurait préféré autre, tantôt passionné, un peu à froid, tantôt sceptique avec grâce, sans haine, sans grandes colères et toujours courtois, trouvant la vie bonne, heureux d’avoir du talent et du succès. Il parlait à la tribune comme il aurait causé dans un salon, debout contre la cheminée, d’abondance, d’une parole élégante, facile et souple, et avait l’accent, et donnait la sensation de la sincérité. Il avait traversé l’Affaire sans s’émouvoir ni s’irriter, trop intelligent de beaucoup pour croire Dreyfus coupable et Esterhazy innocent, mais prisonnier de son parti et ayant, lui aussi, quand la politique s’en mêlait, de l’esprit à la place du cœur.

C’était la première fois qu’il parlait de l’Affaire à la tribune, et ce n’était ni banal ni malhabile de choisir ce jour-là. Il prit texte des paroles de Messimy, « violentes et haineuses », pour protester que nul n’avait le droit « de traiter de misérables, de menteurs et de gens de mauvaise foi ce qui était bien la moitié de la France » ; « beaucoup parmi vous-mêmes ne pensaient pas, avant hier, l’année dernière, comme vous faites à présent. » — Il avait, lui aussi, voté l’ordre du jour qui nous flé-