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JOURNAL DE MARIE LENÉRU

Bien que je ne l’aime guère, le chapelet peut être plus personnel et méditatif. « En le redisant toujours, on ne le répète jamais. »

Brest, 27 septembre.

Si peu qu’on se rapproche de Dieu, un souffle de forte vie morale passe en nous. Tout semble possible, tout supportable. Albert de la Ferronnays avait raison, « les habitudes agissent sur nous plus que tous les principes[1] ».

Les habitudes qui moulent notre vie, ne doivent pas être à la merci de nos vicissitudes intellectuelles. Il faut agir comme on voudrait penser, comme on voudrait sentir. C’est une manière de jeter dans la balance son épée et son bouclier.

À ces messes de semaine, plus matinales que les autres et seules vraiment religieuses, je sens venir une acceptation plus libre et plus claire. Je demande le respect de mon épreuve, la porter comme un habit religieux qu’on craint de souiller par tout ce qui est trop vain. Dieu ne m’a pas consultée, il n’a pas attendu le oui de mes vœux, il a fait de moi une carmélite, dans toute la rigueur de la clôture et du silence. Que l’esprit de Ste Thérèse me soit donné !

Je me défends encore et je me défendrai longtemps. Que Dieu daigne m’attendre ; je voudrais que tout fût si profond et sûr chez moi…

Les médiocres bonheurs, les médiocres vertus me dégoûtent. Mais ce ne sont pas ces inoffensives tentations qu’on doit se proposer. Une alternative, pour être sérieuse, doit présenter deux partis dignes de se balancer. Qui abandonne le monde parce qu’il n’a rien su y voir d’attirant, ne connaît pas la valeur et l’indépendance du choix libre.

Ce qu’il faut savoir, ce dont il faut être sûre, c’est : telle situation imaginée, telles circonstances réunies, aussi exceptionnelles que vous le voudrez, mais pourtant rêvables, votre

  1. Dans le Récit d’une Sœur de Mme  Craven, née La Ferronnays. Écrit en 1852.