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Page:Journal des femmes (5-15), 1841.pdf/240

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mait dans la botte, en les rangeant avec préoccupation, c’était « À monsieur Charly Stone ; poste restante, à Sith. » Tout le jour, la nuit même, bercée de cette fascination, elle s’étonnait qu’il ne vînt pas chercher ses lettres, puisque ces lettres attendaient après lui, quelquefois le cœur lui en manquait d’impatience et d’anxiété. Un soir, ayant tout-à-fait perdu l’idée qu’il viendrait pour demander des lettres ou quoi que ce soit au monde, n’y voyant plus au travail d’aiguille, elle ferma soigneusement ses livres, se persuadant qu’elle n’avait rien à faire dans la maison, puisque personne n’y venait plus. Elle se trouva, sans s’en douter elle-même, assise au canapé de jonc, dans le coin délaissé par M. Stone et perdue dans une tristesse qui la faisait brûler.

— « Sûrement, dit-elle, en laissant pendre ses mains avec découragement, j’ai dans le cœur un reproche à me faire ; je n’étouffe ainsi que pour n’avoir pas assez pleuré mon père ; un père doit être tant pleuré par son enfant ! »

Cette pensée salutaire lui laissa répandre un déluge de larmes, et un peu de calme lui revenait, lorsque ses yeux se levèrent sur une personne debout devant elle, n’osant parler ni sortir, et que la nuit tombante ne l’empêcha pas de reconnaître. Lucy porta les mains en avant avec quelque frayeur, et demeura debout à son tour, sans opposer d’abord un seul mouvement à celui de M. Stone, qui, sans lui parler encore, saisit le bord de son tablier pour le porter ardemment ses lèvres. Lucy vit clair dans l’ombre. Ce genre d’aveu brusque et tendre lia toutes ses volontés d’une telle surprise qu’elle ne trouva pas plus de voix pour l’exprimer que si elle n’eût parlé de sa vie.

C’est alors qu’une déclaration d’amour vrai frôla respectueusement ses oreilles. Elle tremblait beaucoup et un bruissement étrange se passait dans sa tête ; mais elle entendit au fond de son cœur que chaque parole de cette langue, nouvelle pour elle, ne contenait qu’une espérance pure de l’amoureux jeune homme, presque aussi tremblant qu’elle. Lorsqu’une vive lumière apparut qui lui montra le visage irrité de sa mère. « Oh ! ma mère, s’écria-t-elle en retrouvant la parole dans une pieuse terreur, dites-lui que je l’aime, car je crois que je l’ai dit tout-à-l’heure à mon père. »

La pauvre mère, confondue de cette franchise vierge, regarda