Aller au contenu

Page:Journal des femmes (5-15), 1841.pdf/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
― 227 ―

roi l’emmenait dans la nuit. Après avoir ouvert précipitamment la porte, il s’adossa contre elle, hors d’haleine, tenant dans ses mains l’ordre inattendu qu’il nous montrait sans pouvoir proférer une parole. Je sentis que c’était là un malheur : je me tins immobile, tandis que je le lisais tremblante comme au jugement dernier ; puis je reportai ma vue troublée sur lui, dont les cheveux et le visage étaient couverts de sueur, tandis qu’il tenait ses regards à la terre dans un profond accablement. Une idée le fit bondir vers ma mère qu’il supplia de nous marier le soir même afin de se soumettre à ce départ qui ne lui paraissait qu’une trahison. Hélas ! d’où partait-elle ? Ma mère lui rompit brusquement la parole. Elle opposa mon âge d’adolescente ; elle opposa toute sa famille inconnue ; elle s’arma, Seigneur ! de tous ses effrois de mère, de sa raison indignée qu’une enfant prétendît à devenir femme et mère à son tour, et tandis que je pleurais à ses genoux comme lui-même, elle nous quitta pour se soustraire à ce qu’elle nommait notre imprudence, nous laissant désespérés l’un pour l’autre et seuls. Seuls ! miséricorde ! se retraça la femme en attrapant convulsivement la tête de son enfant sur le quel ses larmes recommencèrent à couler. ― Je ne l’ai jamais revu, acheva-t-elle d’un accent étouffé. »

Charly, dont les idées confuses devenaient une souffrance qu’il s’efforçait d’autant plus de vaincre qu’il tremblait d’affliger davantage sa mère, lui demanda doucement si son père avait souvent écrit. Elle laissa tomber ses bras et secoua la tête sans répondre.

« D’où vient donc ce portrait, poursuivit-il, cherchant à concilier dans son esprit l’habit de capitaine de vaisseau avec le titre d’aspirant de marine sous lequel son père avait dû partir.

— Ce portrait, Charly, n’est dans mes mains que depuis deux ans. J’ignore comment il est venu jusqu’à moi ; un pauvre à qui j’avais fait l’aumône de quelques hardes dont je pouvais encore disposer, disparut après l’avoir, selon toute apparence, déposé sur cette même table, ce qui me fît le soir un grand saisissement.

— D’où suis-je donc venu, moi ? » dit à voix basse le triste Charly, tandis que sa mère, pressant sous ses mains fiévreuses son front chargé de rougeur, demandait à Dieu de saintes paroles pour éclairer son jeune juge, et elle répondit :