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Page:Journal des femmes (5-15), 1841.pdf/280

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« C’est là ce que je n’ai su moi-même qu’après d’étranges souffrances. J’ignorai durant plusieurs mois, que l’étroit embrassement d’un homme m’eût changée de ce que j’étais la veille de cet unique embrassement. Tandis que je pleurais, il m’avait dit à genoux laisse-toi fiancer et je jure Dieu que je n’aurai jamais d’autre femme que toi. Un frisson me saisit alors et je restai ta mère. Ce fut la mienne qui me l’apprit avec terreur, tandis que par suite de malheurs sur malheurs et de grandes humiliations, nous traînions une misère extrême. Un de ces jours-là, Charly, nous nous trouvâmes trois devant la miséricorde divine. Tu étais venu partager les douleurs et le pain de ton inconsolable mère. »

Charly, sans parler, se prosterna devant la pénitente et cacha sa tête dans ses genoux.

« Le canon du vaisseau qui rappelait à bord l’équipage avait réveillé l’âme de ma mère et notre raison perdue. Ma mère rentra, tandis qu’il traçait à la hâte cet écrit, regardé par nous comme le contrat du ciel, et qui nous mariait devant elle comme nous l’étions devant l’éternité. « Prenez compassion de moi et de ma femme, lui dit-il, en me remettant toute faible à sa pitié et s’élançant éperdu vers le signal qui redoublait. Quand je rouvris les yeux, ma mère pleurait sur moi.

« Des bruits, des regards que je ne pouvais pas comprendre, parce qu’il est affreux de comprendre, vinrent bientôt corrompre jusqu’à ma tristesse, qui m’était chère. Une femme, que j’avais vue passer plus d’une fois, dont les yeux hardis me faisaient baisser la vue, s’approcha tout-à-fait un jour de la vitre, pour m’exa miner avec un rire haineux. Quand nous fûmes ruinées et hors d’état de soutenir notre maison devenue déserte, quand ma mère, calomniée, fut contrainte de quitter avec moi le pays natal, où tout s’était tourné contre elle, elle a toujours pensé que cette femme, un peu riche et qui nous succéda dans notre chère demeure, s’était vengée sur moi d’avoir été plus aimée qu’elle d’un homme qui ne m’a pourtant jamais écrit. Son silence m’avait brisé le cœur. Ma mère en mourut. Toi tu m’aidas à vivre, car tu étais petit, et tu ressemblais à ce doux portrait de Charly Stone.

— Charly ! s’écria l’enfant ; Charly ! oh ! merci, ma mère,