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l’île mystérieuse.

Et Pencroff de rire de sa plaisanterie.

Au soir, d’après l’estime, on pouvait penser que le Bonadventure avait franchi une distance de cent vingt milles depuis son départ de l’île Lincoln, c’est-à-dire depuis trente-six heures, ce qui donnait une vitesse de trois milles un tiers à l’heure. La brise était faible et tendait à calmir. Toutefois, on pouvait espérer que le lendemain, au point du jour, si l’estime était juste et si la direction avait été bonne, on aurait connaissance de l’île Tabor.

Aussi, ni Gédéon Spilett, ni Harbert, ni Pencroff ne dormirent pendant cette nuit du 12 au 13 octobre. Dans l’attente du lendemain, ils ne pouvaient se défendre d’une vive émotion. Il y avait tant d’incertitudes dans l’entreprise qu’ils avaient tentée ! Étaient-ils proche de l’île Tabor ? L’île était-elle encore habitée par ce naufragé au secours duquel ils se portaient ? Quel était cet homme ? Sa présence n’apporterait-elle pas quelque trouble dans la petite colonie, si unie jusqu’alors ? Consentirait-il, d’ailleurs, à échanger sa prison pour une autre ? Toutes ces questions, qui allaient sans doute être résolues le lendemain, les tenaient en éveil, et, aux premières nuances du jour, ils fixèrent successivement leurs regards sur tous les points de l’horizon de l’ouest.

« Terre ! » cria Pencroff vers six heures du matin.

Et comme il était inadmissible que Pencroff se fût trompé, il était évident que la terre était là.

Que l’on juge de la joie du petit équipage du Bonadventure ! Avant quelques heures, il serait sur le littoral de l’île !

L’île Tabor, sorte de côte basse, à peine émergée des flots, n’était pas éloignée de plus de quinze milles. Le cap du Bonadventure, qui était un peu dans le sud de l’île, fut mis directement dessus, et, à mesure que le soleil montait dans l’est, quelques sommets se détachèrent çà et là.

« Ce n’est qu’un îlot beaucoup moins important que l’île Lincoln, fit observer Harbert, et probablement dû comme elle à quelque soulèvement sous-marin. »

À onze heures du matin, le Bonadventure n’en était plus qu’à deux milles, et Pencroff, cherchant une passe pour atterrir, ne marchait plus qu’avec une extrême prudence sur ces eaux inconnues.

On embrassait alors dans tout son ensemble l’îlot, sur lequel se détachaient des bouquets de gommiers verdoyants et quelques autres grands arbres, de la nature de ceux qui poussaient à l’île Lincoln. Mais, chose assez étonnante, pas une fumée ne s’élevait qui indiquât que l’îlot fût habité, pas un signal n’apparaissait sur un point quelconque du littoral !