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Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/587

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rosité toboadongaise. Il n’y avait pas à dire : les parents jetaient un froid !

Et Benigno reparut dans le salon vert-bouteille sans que la petite idole s’en aperçût de façon bien positive.

Mais don Prudencio et doña Primitiva n’avaient pas facilement pris leur parti de la désertion d’un gendre présomptif aussi enviable et ne s’étaient lassés de le harceler d’attentions gracieuses que le jour où Benigno avait nettement sommé le chef de la brune communauté d’aller faire trembloter ailleurs les vastes et agaçantes ailes de son inamovible chapeau de Jipijapa.

Ils accueillirent son retour en pleurant et leurs larmes ne leur coûtèrent qu’un effort des moins méritoires.

Reyes devint la consciente et résolue victime de leurs manœuvres matrimoniales. Il en inventa même à leur profit et tomba de l’air le plus innocent que l’on pût rêver dans des panneaux qu’il avait machinés presque tout seul.

C’est eux qui l’épousèrent bien plus que Soledad parfaitement dédaigneuse des conventions sociales et aussi émue par son propre mariage que par la mort d’un chah de Perse ou l’accession de Cayetano Borracho — tout botté — au trône de Chamahuacalpa.

Le lendemain de ces noces trop paisibles, le tinerfeño savait, à ne pouvoir s’y méprendre, qu’il avait lié sa vie à l’existence purement mécanique d’une sorte de joli automate dont il ne possédait même pas la clef.

Jamais Soledad ne le contraria. Jamais elle ne lui fit mauvaise figure ; ne parlant guère qu’à ses parents — et encore ! Jamais elle ne lui exprima, directement du moins, ni un souhait personnel ni une velléité d’opposition. Elle se contentait de le subir avec une exaspérante bonne volonté ennuyée. Elle ne compta bientôt plus pour lui.

En revanche, comme Benigno était devenu à peu près indifférent à tout ce qui pouvait lui arriver après les lamentables dénouements de ses trois histoires d’amour, il tomba sous la coupe de doña Primitiva, qu’il finit par craindre et par aimer comme aiment les chiens battus : parce qu’elle ne le maltraitait pas toujours.

Elle se substitua résolument à sa femme, — pas en tout, par bonheur (— bien que les Toboadongais, ces mauvaises langues…) et lui fit connaître, en même temps que les raffinées persécutions de la belle-mère, les sauvages et perpétuels ululements de l’épouse incomprise, réclamatrice, méfiante, odieuse de brutale jalousie… Dame ! puisque Soledad ne voulait pas se défendre et qu’il fallait la protéger malgré elle !