Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/36

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d’audience ; de lui demander en tremblant et en balbutiant une chose juste ; d’essuyer sa gravité, son ris amer et son laconisme. Alors je ne le hais plus, je ne lui porte plus d’envie ; il ne me fait aucune prière, je ne lui en fais pas ; nous sommes égaux, si ce n’est peut-être qu’il n’est pas tranquille, et que je le suis.

52 (I)

Si les grands ont les occasions de nous faire du bien, ils en ont rarement la volonté ; et s’ils désirent de nous faire du mal, ils n’en trouvent pas toujours les occasions. Ainsi l’on peut être trompé dans l’espèce de culte qu’on leur rend, s’il n’est fondé que sur l’espérance ou sur la crainte ; et une longue vie se termine quelquefois sans qu’il arrive de dépendre d’eux pour le moindre intérêt, ou qu’on leur doive sa bonne ou sa mauvaise fortune. Nous devons les honorer, parce qu’ils sont grands et que nous sommes petits, et qu’il y en a d’autres plus petits que nous qui nous honorent.

53 (VI)

À la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes faiblesses, mêmes petitesses, mêmes travers d’esprit, mêmes brouilleries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, mêmes antipathies. Partout des brus et des belles-mères, des maris et des femmes, des divorces, des ruptures, et de mauvais raccommodements ; partout des humeurs, des colères, des partialités, des rapports, et ce qu’on appelle de mauvais discours. Avec de bons yeux on voit sans peine la petite ville, la rue Saint-Denis,