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LES PÉRIODES VÉGÉTALES
DE L’ÉPOQUE TERTIAIRE.

(Suite. — Voy. p. 170.)
§V. — Période pliocène.

À Cucuron, à Pikermi, à Eppelsheim, les équidés, les ruminants, et surtout les gazelles, disputent le pas aux pachydermes qui se maintiennent, aux proboscidiens qui sont en voie de développement. Les éléphants ne se montrent pas encore, mais les Dinothérium et les mastodontes sont déjà venus. Les girafes comprennent le type perdu de l’Helladotherium, à côté de celui des Camelopardalis ; les hipparions précèdent les chevaux dont ils diffèrent encore à certains égards. Les cerfs proprement dits commencent à paraître, mais ils sont encore rares et leur bois est presque simple ; les bovidés sont absents. — Nous touchons au monde moderne ; placés au contact de ses limites, nous allons les aborder et les franchir, mais dans la direction que nous aurons à suivre pour y parvenir, nous serons entraînés, sinon insensiblement, du moins par une série de mouvements partiels et d’oscillations répétées.

Deux faits principaux dominent tous les autres : le retrait de la mer miocène et l’abaissement définitif de la température ; l’un et l’autre demandent des explications qui eu fassent saisir la portée.

Les symptômes précurseurs, sur lesquels nous avons d’abord insisté, montrent bien que le sol de l’Europe tendit graduellement à s’exhausser, et cet exhaussement eut évidemment lieu vers le centre de l’espace que la mer miocène avait précédemment occupé. Non-seulement elle abandonna alors la plaine helvétique, c’est-à-dire l’intervalle qui sépare de nos jours la vallée du Rhône de celle du Danube, mais aucune formation régulière, aucun dépôt lacustre post-miocène ne succéda en Suisse à la mer qui se retirait. Les eaux réunies en nappe dormante n’eurent plus d’accès dans cette région dont le relief s’accentua peut-être subitement, peut-être rapidement, et où les grandes chaînes de l’Europe allaient établir la ligne de partage des eaux, en sorte que la distribution des vallées hydrographiques du continent en dépend d’une façon absolue. Il est visible, en effet, que le retrait de la mer mollassique est intimement lié au soulèvement des Alpes, que ce soulèvement ait été lent ou brusque, qu’il se soit opéré en une fois ou qu’il ait été préparé par une série do mouvements préliminaires, ou bien encore qu’il ait donné lieu tout d’abord à une chaîne encore plus élevée que celle qui constitue de nos jours l’ossature principale de notre continent. Le Nagelflüe, amas énorme de roches concassées, de sédiments broyés, anguleux, polis ou détritiques, accumulés en Suisse sur d’énormes épaisseurs, est là pour attester la puissance du phénomène et la grandeur des résultats dont il fut suivi. Cet amoncellement de pouddingues, de brèches et de marnes inconsistantes ou cimentées, demeure comme un témoin irrécusable de 1’effort qui redressa les masses alpines et leur imprima le relief et la direction que nous leur connaissons.

Par cet événement précédé ou suivi de beaucoup d’autres, la mer se trouva définitivement rejetée dans la vallée du Rhône, d’une part, dans celle du Danube inférieur, de l’autre ; tandis que la vallée du Pô était encore immergée jusque dans le Piémont, vers l’Astésan et le Tortonnais. Au lieu d’un canal unique, partant du golfe du Lion pour aller aboutir à la mer Noire, et contournant le massif des Alpes actuelles pour découper en tronçons épars l’Italie, nous obtenons maintenant trois golfes distincts et profonds, sortes d’Adriatiques, ayant chacune leur configuration, et remontant à la fois dans l’intérieur des terres par les vallées respectives du Rhône, du Danube et du Pô. Ces Adriatiques iront en diminuant d’étendue et de profondeur ; d’autres échancrures ayant une origine semblable et situées dans le Roussillon, vers l’embouchure du Têt ; dans les Alpes-Maritimes, à l’embouchure du Var ; dans les Landes, entre l’Adour et la Garonne ; en Belgique, entre Bruges, Bruxelles et Anvers ; sur la côte occidentale de l’Angleterre, au-dessus de la Tamise ; dans l’Italie centrale, en Sicile, en Algérie et ailleurs, auront la même destinée. Partout, la mer ira en s’amoindrissant, tout en attestant, par sa persistance sur quelques points et par l’épaisseur des dépôts qu’elle y accumulera, la longue durée d’une époque dont les formations se dérobent le plus souvent à notre examen ; celles-ci effectivement demeurent soustraites à nos moyens d’investigation dans tout le périmètre des mers actuelles, partout où le rivage de ces mers n’a pas changé depuis les temps pliocènes.

Mais revenons sur nos pas et reprenons la suite des événements où nous l’avons laissée ; n’oublions pas surtout que nous sommes dans la partie récente du miocène, au point où cette période tend vers sa terminaison et va se souder avec celle qui lui succède. La mer se retire dans la vallée du Rhône, elle s’avance à peine jusqu’à Valence ; bientôt après, elle n’arrive plus même à Montélimart. C’est à ce moment qu’il faut placer un niveau remarquable, caractérisé par l’invasion d’une faune venue de proche en proche par la direction de l’orient et ayant habité, dans un âge déterminé, les estuaires fluvio-marins de l’Europe presque entière ; on a donné le nom de couches à congéries aux formations qui, vers le Danube inférieur et moyen, dans l’Italie centrale et le midi de la France contiennent cette faune, et qui s’intercalent entre le Tortonien et l’Astien de manière à indiquer d’une façon relativement précise la fin du miocène et le point de départ de la période suivante. On a parfois appliqué la dénomination de mio-pliocène à l’âge ambigu qui s’interpose entre les deux périodes, et constitue une transition réellement insensible de l’une vers l’autre, surtout si l’on s’attache à la végétation. Arrivé à ce point, nous rencontrons, soit en