Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/369

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« … Si quantité de ces coquilles fossiles se montrent avec des différences qui ne nous permettent pas, d’après les opinions admises, de les regarder comme des analogues des espèces avoisinantes que nous connaissons, s’ensuit-il nécessairement que ces coquilles appartiennent à des espèces réellement perdues ?… Ne serait-il pas possible, au contraire, que les individus fossiles dont il s’agit appartinssent à des espèces encore existantes, mais qui ont changé depuis, et ont donné lieu aux espèces actuellement vivantes que nous en trouvons voisines. »

On ne peut se dissimuler que la rédaction de ce passage est fautive. Des espèces « encore existantes, mais qui ont changé et donné lieu à des espèces différentes », cela est loin d’être clair, mais il faut s’en prendre surtout au peu de précision du mot espèce, employé tour à tour dans le sens purement descriptif et dans le sens défini par la parenté et la descendance. Bien des naturalistes à notre époque n’ont pas un langage plus rigoureux et Huxley a été peu indulgent en reprochant si vivement à Lamarck de n’avoir pas cru aux espèces perdues. Nous savons aujourd’hui que certaines lignées se sont éteintes sans laisser de descendance, que certains phylums, comme on dit maintenant, se sont arrêtés à des époques anciennes de l’histoire du monde, mais Lamarck faisait preuve d’une grande prudence scientifique en laissant espérer que des recherches nouvelles feraient connaître les descendants des espèces connues à l’état fossile.

Huxley aurait d’autant moins dû reprocher à Lamarck l’obscurité de son chapitre sur « les espèces dites perdues » que ce chapitre contient, fort clairement exprimée, la négation des catastrophes successives, négation dont l’auteur anglais reporte tout l’honneur sur le grand géologue Lyell :

« Les naturalistes qui n’ont pas aperçu les changements qu’à la suite des temps la plupart, des animaux sont dans le cas de subir, voulant expliquer les faits relatifs aux fossiles observés, ainsi qu’aux bouleversements reconnus dans différents points de la surface du globe, ont supposé qu’une catastrophe universelle avait eu lieu à l’égard du globe de la terre ; qu’elle avait tout déplacé et avait détruit une grande partie des espèces qui existaient alors.

« Il est dommage que ce moyen commode de se tirer d’embarras, lorsqu’on veut expliquer les opérations de la nature dont on n’a pu saisir les causes, n’ait de fondement que dans l’imagination qui l’a créé, et ne puisse être appuyé sur aucune preuve.

« Des catastrophes locales, telles que celles que produisent des tremblements de terre, des volcans, et d’autres causes particulières, sont assez connues, et l’on a pu observer les désordres qu’elles occasionnent dans les lieux qui en ont supporté.

« Mais pourquoi supposer, sans preuves, une catastrophe universelle, lorsque la marche de la nature, mieux connue, suffît pour rendre raison de tous les faits que nous observons dans toutes ses parties ? » (pp. 79-80).