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LE DESTIN DES HOMMES

repartie et avait commencé à travailler en arrivant. Elle logeait dans la même maison que l’employée qu’elle remplaçait. Avant de partir, elle s’était confectionné une robe, car elle n’était guère présentable dans celle qu’elle portait. Dans sa campagne, un vieux manteau cachait son vêtement rapiécé, mais dans un magasin il fallait avoir une toilette convenable. Heureusement, elle avait une bonne paire de souliers qu’elle s’était achetés l’hiver précédent, qu’elle ne portait que le dimanche pour aller à la messe et qu’elle enlevait sitôt de retour. Son manteau datait de plusieurs années, mais il lui faudrait le porter encore. Seulement, sur sa première paye, il lui faudrait remplacer ses verres, ceux qu’elle avait étant trop vieux, trop faibles, et elle n’y voyait plus.

Ce lui était une grande joie de se remettre au travail, car elle pourrait, espérait-elle, manger convenablement et se renipper. En plus, elle serait débarrassée des inquiétudes qui la tracassaient au sujet de l’hiver qui s’en venait. Puis, elle se disait qu’elle revenait vers la civilisation. Si l’emploi ne lui convenait pas, elle serait plus près de la ville où elle pourrait peut-être essayer de nouveau sa chance. Oui, la place était dure, mais à son âge, elle ne pouvait faire la difficile. Dès le début, elle se mit à l’œuvre avec cœur, voulant donner satisfaction. Pour les ventes, cela ne l’effrayait pas, car elle avait l’expérience, mais il lui fallait connaître au plus tôt, le contenu du magasin pour trouver sans perdre de temps les marchandises qu’on lui demandait.

Le soir, après sa première journée de travail, elle était très fatiguée et se rendait déjà compte qu’elle ne pourrait continuer. La tâche était trop rude et elle n’avait plus les capacités d’autrefois. Puis, la pension où elle se retirait était loin d’être satisfaisante. On lui servait des viandes froides avec comme dessert des biscuits durs comme des