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LE DESTIN DES HOMMES

Une fois de plus Latour fit venir le vétérinaire, qui recommanda de saupoudrer de soufre le corps de l’animal, principalement sur les plaies.

Une jeune femme de la ville, cousine d’Amanda, venait depuis des années passer de temps à autre une semaine ou deux à la maison, payant généreusement sa pension. Elle avait sa chambre à elle qu’elle avait arrangée et décorée à son goût et dans laquelle elle avait mis une foule de choses à son usage : une berceuse, un miroir joliment encadré, une jolie carpette, etc. Or Amanda constata que son mari montait le soir ouvrir la porte de la chambre de la cousine et que le vieux chien malpropre, purulent et baveux allait s’étendre et dormir sur le tapis qui servait de descente de lit et sur lequel il laissait son poil et sa poudre de soufre en se secouant. Elle était indignée, révoltée.

À bout de patience, la femme tenta à plusieurs reprises de se débarrasser de la sale bête en lui offrant des aliments contenant du vert-de-Paris, préparation dont son mari se servait pour arroser les tiges des pommes de terre pour les protéger contre les parasites, mais, comme s’il eût été doué d’un instinct divinatoire, le chien refusa à chaque fois la nourriture offerte.

La cousine de la ville était de nouveau à la maison pour une dizaine de jours et, naturellement, Amanda faisait entendre ses plaintes, ses doléances. « Tu ne peux t’imaginer un homme comme ça », disait-elle. « Son vieux chien passe avant tout. Si, dans sa maison en flammes, il voyait sa femme, son père, sa mère, ses frères, ses sœurs et son chien, il s’efforcerait tout d’abord de sauver son chien. Oui, son chien. Son chien et Poléon, il n’y a que cela qui existe pour lui. Ce pauvre Poléon ! » ajoutait-elle en prenant la voix éplorée de son mari. « Quand il en parle et qu’il songe à ce général dépérissant lentement à Sainte--