Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/475

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ancien grand vicaire, homme de table et de boudoir dans sa jeunesse, homme d’aventure ensuite pendant une longue émigration, il avait fréquenté les salons du cardinal de Bernis et de madame de Pompadour plus que les salles de la Sorbonne. Gros, court, joufflu, goutteux, d’une figure qui avait dû être aussi agréable que spirituelle, il y avait en lui de l’abbé de Chaulieu plus que du prêtre martyrisé par une révolution pour sa foi. Mais le temps et le décorum des émigrations et des spoliations de bénéfices subies pour son état, lui en donnaient le maintien et la gravité. Il ne l’oubliait que dans la chaleur de la conversation et dans l’espèce d’enthousiasme que lui inspiraient le monde élégant et la bonne chère. Là, tous ses souvenirs de Paris, de cour, de noms historiques, d’exils illustres, se répandaient avec des flots de récits étincelants de sa mémoire. On comprenait qu’il eût été, quinze ou vingt ans auparavant, un des abbés les plus recherchés de ces salons de Versailles et de Paris où son âme vivait toujours. Les dévotes ne l’aimaient pas, comme un fâcheux vestige de l’ancien sacerdoce, mauvais à produire dans le nouveau. Mais son caractère, son habit et son orthodoxie officielle, prouvée par la persécution, les forçaient au silence, et il finissait par obtenir les apparences de la vénération. Il m’aimait beaucoup, et je ne me lassais pas de l’écouter raconter un monde sur lequel le rideau de la révolution s’était tiré, et dont il restait un des plus légers, des plus gracieux et des plus spirituels acteurs.

Un homme, mystère pour tout le monde, même pour mon oncle, qui le recevait tous les soirs, venait régulièment à ces réunions. C’était un vieillard aussi, mais un vieillard vert et fort, dont on supposait plus qu’on ne devinait les années. Sa physionomie était scellée comme