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jocelyn.

À Maltaverne, sur la route d’Italie,
22 novembre 1802.

Une lampe éclairait seule la chambre obscure,
Et l’ombre des rideaux me cachait la figure ;
Je ne distinguais rien dans cette obscurité
Qu’un front pâle et mourant sur l’oreiller jeté,
Et de longs cheveux blonds répandus en désordre,
Que sur un sein deux mains d’albâtre semblaient tordre,
Et qui, lorsque ces mains les laissaient s’épancher,
Roulaient des bords du lit jusque sur le plancher.
« Mon père », murmura tout bas la voix de femme…
L’accent de cette voix alla jusqu’à mon âme ;
Je ne sais d’une voix quel vague souvenir
Y vibrait ; je ne pus qu’à demi retenir
Un cri que le respect refoula dans ma bouche,
Et je m’assis tremblant au chevet de la couche.
« Mon père, pardonnez, reprit la même voix ;
» Les chemins sont mauvais, les jours courts, les temps froids ;
» Je vous ai fait venir de loin, bien loin peut-être ;
» Mais vous vous souvenez que votre divin Maître,
» Sans craindre de souiller ses pieds ni ses habits,
» Rapportait sur son cou la moindre des brebis.
» Hélas ! de sa bonté nulle ne fut moins digne :
» Pourtant je fus marquée autrefois de son signe,
» Et je veux, en quittant ce vallon de douleur,
» Revenir et mourir aux pieds du bon Pasteur.
» J’ai tant perdu sa voie et rejeté ses grâces,
» Qu’il a depuis longtemps abandonné mes traces.