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jocelyn.

Son accent s’élevait, mais je n’entendais plus.
Laurence !… c’était elle ! Un bruit sourd et confus
Tintait dans mon oreille et grondait dans ma tête ;
Mon front, mon cœur, mon sang n’étaient qu’une tempête ;
Les objets s’effaçaient sous mon regard errant,
Mes pensées dans mon front roulaient comme un torrent,
Et mon esprit flottant sur toutes, sur aucune,
En vain comme un éclair voulait en saisir une :
Chacune tour à tour fuyait et m’entraînait ;
Dans mon chaos d’esprit tout croulait, tout tournait :
Si je parlais, ma voix me ferait reconnaître ;
Avant le saint pardon je la tûrais peut-être !
Indiscret confident, si je n’osais parler,
Ses douloureux secrets allaient se révéler ;
Coupable de parler, coupable de me taire,
J’allais trahir sa vie ou mon saint ministère !
Pouvais-je, homme de Dieu, me récuser ? Oh non !
Oh ! qui lui donnerait mieux le divin pardon ?
De quel cœur plus ami la brûlante prière
Appellerait la paix de Dieu sur sa paupière ?
Quels pleurs s’uniraient plus à ses pleurs ? quelle main
Du festin de la mort lui romprait mieux le pain ?
Et quel adieu plus tendre, à ce départ suprême,
L’accompagnerait mieux que cette voix qu’elle aime ?
Oh ! sans doute c’était Dieu qui me l’envoyait,
Et qui par ce seul jour en une heure payait
De mon amour vaincu le si long sacrifice ;
Il m’avait réservé ce jour dans sa justice !
Me rapportant Laurence à son dernier moment,
Sa grâce du pardon me faisait l’instrument :
J’allais donner le ciel dans l’auguste mystère,
À celle à qui j’aurais voulu donner la terre,
Et j’allais envoyer m’attendre dans les cieux
Le souffle de mon sein, le rayon de mes yeux !