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neuvième époque.

Dans la confusion de ce doute terrible,
J’étais sans mouvement comme un bloc insensible.
Le trouble de mes sens enfin s’atténua ;
Sa voix reprit son timbre ; elle continua :


« Hélas ! de lui, mon père, à peine séparée,
» Le monde sait jusqu’où je me suis égarée !
» L’époux à qui mon sort sans mon cœur fut uni,
» Du crime de m’aimer par mon cœur fut puni ;
» Mon dégoût lui rendait en horreur ses tendresses,
» Et voyait un opprobre en ses moindres caresses ;
» Il mourut d’amertume, hélas ! en m’adorant :
» Je ne lui pardonnai de m’aimer qu’en mourant !…

. . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . .


» Veuve et libre à vingt ans, et déjà renommée
» Pour ma beauté partout avec mon nom semée,
» Des flots d’adorateurs roulèrent sur mes pas.
» Je les laissai m’aimer ; mais moi, je n’aimai pas :
» L’ombre de mon ami, m’entourant d’un nuage,
» Toujours entre eux et moi jetait sa chère image ;
» Et d’un œil attendri quand je leur souriais,
» Hélas ! les insensés ! c’est lui que je voyais !
» Tant d’un éclat trop pur l’âme jeune éblouie
» Ternit toute autre chose ensuite dans la vie.
» Ah ! malheur à qui voit devant ses yeux passer
» Une apparition qui ne peut s’effacer !
» Le reste de ses jours est bruni par une ombre :
» Après un jour divin, mon père, tout est sombre !