Page:Landry, Manuel d’économique, 1908.djvu/153

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du savoir que le travailleur possède[1]. Tantôt, déjà, nous avons eu occasion de dire que tout travail impliquait de la part de celui qui veut s’y livrer une certaine somme de connaissances. Il faut revenir sur ce point, et montrer combien grande est l’importance de cet élément du travail.

Qu’est-ce que le travail ? C’est, comme nous le savons, une activité qui se déploie en vue d’un résultat. Le travail, par conséquent, ne pourra être efficace que si nous savons que de certains actes exécutés par nous nous feront arriver au résultat désiré. Si simple soit-il, il exige des connaissances générales qui rendent possibles de notre part des prévisions. Et plus nous aurons de connaissances, mieux nous serons informés des effets de chaque cause et des causes de chaque fait, plus aussi il nous sera facile — cela va de soi — d’atteindre par notre travail les fins où nous aspirons.

Nous nous trouvons ainsi pour la seconde fois en présence de cette idée que le développement économique est subordonné au progrès de notre savoir. Mais la première fois nous avons montré en celui-ci la condition de la formation des besoins ; et sous ce rapport le progrès du savoir nous était apparu comme n’entraînant pas nécessairement un accroissement du bonheur des hommes. Ici, le savoir nous donne les moyens de satisfaire les besoins que nous avons : et tout ce qui le fera progresser nous apparaît en conséquence comme bon.

C’est Tarde qui a montré avec le plus d’ingéniosité et de la manière la plus frappante le rôle si considérable joué dans la production par les connaissances des hommes. Ces connaissances d’après lui constituent pour l’humanité un « capital », et ç’a été un tort de la part de beaucoup d’économistes de ne connaître, en fait de capital, que celui qui consiste en des produits. L’un et l’autre capital ont leur rôle à jouer dans la production, tout comme il faut à l’ordinaire, pour qu’une graine pousse, qu’il y ait en elle un germe et des cotylédons. Mais de même que dans la graine c’est le germe qui est l’élément essentiel, de même dans la production le capital-connaissances est beaucoup plus important que le capital-produits. Quand Samuel Slater en 1789, sans emporter avec lui un seul dessin, partit d’Angleterre pour aller apprendre aux Américains la manière de construire les machines à filer le colon, il portait dans son cerveau, dit Tarde, tout le capital d’où la grande industrie américaine est sortie. Qu’un pays voie un cataclysme naturel, une guerre détruire même une très grande partie de ses capitaux-produits, conservant les autres capitaux, ce pays reconstituera sans peine ses richesses, et retrouvera bien vite son degré antérieur de prospérité.

Acceptons sans la discuter la terminologie de Tarde ; laissons de côté

  1. Voir Philippovich, Grundriss, 1er vol., §§ 35-36, et Tarde, Psychologie économique, liv. I, chap. 7, i-iv (t. I).