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la critique.

gence la plus fine, la plus souple, la plus curieuse, la plus « soupçonneuse » de problèmes et de difficultés, qui ait jamais été appliquée à la critique.

Très agile et très mobile, Sainte-Beuve a traversé tous les milieux, romantisme chrétien, xviiie siècle sceptique, sciences médicales, saint-simonisme : rien ne l’arrête ; dès qu’il a compris, il échappe. Les impuissances de fauteur servent au développement du critique : il essaie le roman et la poésie, de façon à connaître le métier. Il n’est d’aucune spécialité, d’aucune école, d’aucune église. Ce voluptueux matérialiste parle gravement, dévotement du jansénisme. Son esprit est plus compréhensif que toute doctrine : il ne veut que comprendre et expliquer ; et comprendre, pour lui, c’est aimer ; expliquer, c’est justifier. Il n’est guère capable de tenir rigueur à ce qui exerce son intelligence.

Malgré ses allures de dilettante, il a couvert sa curiosité d’une intention de philosophie et de science. Il semble, d’abord, qu’il continue l’œuvre de Villemain, qui avait été de réduire la critique littéraire à l’histoire. Villemain, largement, un peu lâchement, en orateur, avait établi les relations de quelques grands mouvements littéraires aux faits sociaux correspondants : Sainte-Beuve pousse plus loin, cherche des correspondances plus fines, des déterminations plus rigoureuses. Villemain traçait les lignes générales, les grandes directions d’une vaste période : il laissait flotter dans ces larges cadres les individus, de qui émanent immédiatement les œuvres. Sainte-Beuve s’attache aux individus : et par là il introduit d’abord une relativité plus grande dans la critique. Il cherche, dans l’œuvre littéraire, l’expression, non plus d’une société, mais d’un tempérament : tous ses jugements sur les livres sont des jugements sur les hommes. Il remet cet homme sur pied,

    et ses Consolations (1830), fut un moment saint-simonien sous l’influence de Pierre Leroux, puis, après avoir défendu l’irréligion du xviiie s., subit l’influence de Lamennais et de l’abbé Gerbet. En 1834 parut le roman de Volupté. D’un cours fait en 1837 à Lausanne sortit l’Histoire de Port-Royal (1840-1860) ; d’un cours professé à Liège en 1848, l’ouvrage intitulé Chateaubriand et son groupe littéraire (1860). Professeur au Collège de France, puis à l’École Normale, il fut nommé sénateur en 1865. Il avait dès 1829 commencé à faire des Portraits littéraires : en 1850, il entreprit dans le Constitutionnel la série des Causeries du lundi : il passa ensuite au Moniteur et au Temps. — Éditions : Port-Royal (3e éd., 1866), 5e éd., Hachette. 1888-91. 7 vol. in-18 ; Poésie au xvie s., 1 vol. in-18. Charpentier ; Portraits contemporains, 1846, nouv. éd., Calmann Lévy, 5 vol. in-12, 1870-71 ; Causeries du lundi, Garnier, 15 vol. in-18. 1857-62. Table, 1881, in-8. ; Premiers Lundis, 1875, 3 col. in-18, Calmann Lévy ; Nouveaux Lundis, 10 vol. in-18, C. Lévy, 1863-72 ; Correspondance, C. Lévy, 2 vol. in-12, 1877-78 ; Nouv. Corr. 1880, in-12 ; Lettres à la princesse, 1873, in-18. Sainte-Beuve inconnu, par le vicomte Spoelberch de Lovenjoul, 1901. — À consulter : Levallois, Sainte-Beuve, 1872. Nicolardot, Confession de Sainte-Beuve, 1882. Brunetière, Évolution de la critique, 8e leçon ; E. Faguet, Politiques et Moralistes, 3e série.