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la littérature pendant la révolution et l’empire.

l’importance est de premier ordre pour la littérature : en France, la vie de société absorbe tout l’homme ; l’Allemand n’est pas homme du monde, pense plus qu’il ne cause, et préserve son originalité. Puisque le rapport est étroit entre la littérature et les mœurs, cette différence devra produire en Allemagne et en France des littératures tout à fait dissemblables.

Dans sa seconde partie, Mme  de Staël reprend son idée de l’opposition du Nord et du Midi : et cette fois, elle la caractérise par les mots qui ont fait fortune : le Nord est romantique et le Midi classique. Elle affirme que « la littérature romantique est la seule qui soit susceptible encore d’être perfectionnée, parce qu’ayant ses racines dans notre propre sol, elle est la seule qui puisse croître et se vivifier de nouveau : elle exprime notre religion ; elle rappelle notre histoire… ; elle se sert de nos impressions personnelles pour nous émouvoir [1] ». Et dans ces phrases fécondes vous voyez se lever l’idée du romantisme français avec ses effusions pseudochrétiennes, ses restitutions historiques, et son individualisme lyrique. Cette fois, Mme  de Staël a tout à fait échappé au goût du xviiie siècle : elle ne veut plus y faire rentrer ce qu’elle admire, elle veut y substituer un idéal nouveau. Elle dispute finement sur la différence du bon goût de la société et du bon goût de la littérature : elle montre que l’un est essentiellement négatif, et que l’autre est funeste, s’il ne contient un élément positif ; elle affranchit ainsi tout à fait l’art littéraire des convenances mondaines.

On voit qu’elle a beaucoup causé avec des hommes qui étaient au courant des plus récentes découvertes, des hypothèses les plus hardies de la philologie ou de l’histoire. Elle dit un mot sur l’épopée, de façon à ruiner l’idée française, née à la Renaissance, que l’épopée est un roman allégorique et mythologique : l’Iliade et l’Odyssée n’étaient originairement que des contes de nourrice.

Par l’Allemagne, elle arrive à comprendre, presque à sentir la poésie, poésie de la nature et poésie de l’âme. Elle est trop mondainement aristocrate pour ne pas être effarouchée de Hermann et Dorothée, de Guillaume Tell, trop réfractaire à l’art objectif pour ne pas goûter froidement Iphigénie. Elle entend, elle aime surtout ce qui est complexe, ce qui alimente la pensée, exerce l’intelligence en émouvant l’âme : le sentiment imprégné de philosophie. Lessing, Herder, Schlegel la captivent : la richesse symbolique et pathétique du premier Faust la transporte.

Mais, bien Française en cela, elle porte son effort principal sur le théâtre. Elle ruine les unités, en plaçant ailleurs la vraisemblance ;

  1. Chap. xi.