Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
889
chateaubriand.

d’amour » à travers son ennui, sans se douter assez que c’étaient là des êtres de chair et de sang qui le berçaient dans leur angoisse : Mme  de Beaumont, Mme  de Custine, Mme  de Mouchy.

Bonaparte le vit, et voulut en décorer la France qu’il reconstruisait : Chateaubriand se prêta au bien qu’un autre grand homme lui voulait ; il se laissa nommer premier secrétaire à l’ambassade de Rome, puis ministre dans le Valais. Le duc d’Enghien est fusillé : il envoie sa démission le 20 mars 1804 ; et bientôt, ayant formé le dessein des Martyrs, il part pour l’Orient (1806), il visite la Grèce, Jérusalem, il revient par Carthage et Grenade ; il rentre à Paris le 5 juin 1807. À peine rentré, il se rappelle à Napoléon par un article du Mercure, qui fait supprimer le journal. Il imprime ses Martyrs (1809) et bientôt l’Itinéraire. Son cousin Armand de Chateaubriand, fusillé en 1809 comme agent royaliste, et qu’il n’a pu sauver [1], le rend plus irréconciliable à l’empire ; quand l’Académie l’a élu, il écrit un discours que Napoléon ne consent pas à laisser prononcer. Il se refuse à souffrir aucune rature, à changer aucun des passages biffés ou notés par le despote : et il attend la persécution — qui ne vient pas (1811).

À cette date la vie littéraire de Chateaubriand est finie : sa vie politique va commencer [2]. Ambassadeur, ministre, polémiste, il servira à sa mode la Restauration, sans complaisance pour la royauté, méprisant pour les courtisans, gênant pour les ministres, dédai-

  1. Il écrivit à Napoléon une demande en grâce, en consultant ce qu’il se devait plutôt que ce qui toucherait le juge : il blessa l’empereur, qui jeta la lettre au feu.
  2. Voici les principaux faits : 1814, De Buonaparte et des Bourbons, brochure écrite à la fin de la campagne de France, avant l’abdication ; 1815, il suit Louis XVIII à Gand, et il est ministre de l’intérieur par intérim : la seconde Restauration le fait pair de France ; 1816, il publie la Monarchie selon la Charte, dont l’édition fut saisie, après quoi l’auteur fut rayé de la liste des ministres d’État et sa pension supprimée (elle lui fut rétablie en 1821) ; 1818, il fonde le Conservateur ; 1821, il devient ambassadeur à Berlin, puis à Londres ; 1822, il représente la France au Congrès de Vérone ; 1823, ministre des affaires étrangères, il fait décider la guerre d’Espagne ; 1824, il est renvoyé du ministère ; 1828, sous le ministère Chabrol et Martignac, il va en ambassade à Rome, et donne sa démission an ministère Polignac. Il donne sa démission de pair de France en 1830. Ayant distribué 12 000 francs aux victimes du choléra de la part de la duchesse de Berry, il fut arrêté et emprisonné. En 1832, il fut poursuivi devant le jury, qui l’acquitta, pour son Mémoire sur la captivité de la duchesse de Berry. Il servit encore d’intermédiaire entre la duchesse et Charles X, lorsqu’elle épousa le comte Lucchesi-Palli. Des embarras d’argent inquiétèrent sa vieillesse, et il fut obligé, comme il dit, d’hypothéquer sa tombe, c-à-d. de vendre à une société la propriété de ses Mémoires qui ne devaient paraître qu’après sa mort.

    Éditions : Atala, 1801, in-12 ; Génie du Christianisme, 1802, 5 vol. in-12 ; Atala et René, 1805, in-12 ; les Martyrs, 1809, 2 vol. in-12 ; Itinéraire, 1811, 3 vol. in-8 ; Œuvres complètes (contenant la 1re éd. des Natchez), 1826-1831, 31 vol. in-8 ; éd. Garnier, 12 vol. in-8, 1859-61. Mémoires d’outre-tombe, 1849-50, 12 vol. in-12 ; nouvelle édition, par Ed. Biré, 6 vol. in-18, 1898-1900.

    À consulter : Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire, 1860, 2 vol. in-8. L’abbé G. Pailhès, Mme  de Chateaubriand d’après ses mémoires et sa correspon-