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(Th. Gaut.) || Fig. Tergiversations : La nature de l’homme n’est pas d’aller toujours, elle a ses allées et ses venues. (Pasc.)

ALLÉE s. f. (a-lé — du v. franc, lée, tiré du lat. latus, lata, large, qui, en basse latinité, a fait successivement lada, leda, laia, leia, voie large pratiquée dans l’épaisseur d’une forêt. C’est ainsi qu’un monastère ayant été bâti sur la lée, la laie de la forêt de Saint-Germain, la ville qui s’éleva autour de la vieille abbaye prit le nom de Saint-Germain en Laye. Ces mots : laie, lée, désignaient donc une certaine étendue de chemin. On disait la laie, la lée. La voyelle de l’article s’ajouta par corruption au substantif suivant, comme dans abée, qui vient de bée ; lévier, de évier, et cette agglutination produisit le mot allée tel que nous l’avons aujourd’hui. La forme simple se retrouve encore dans notre mot lé, exprimant la largeur d’une pièce d’étoffe). Passage plus long que large, pratiqué entre deux murs, et qui conduit de l’entrée d’une maison dans l’intérieur : Allée étroite, obscure. Maison à allée. Ouvrir, fermer la porte de l’allée. Il s’approche de la porte ; il entre et suit à tâtons une allée obscure. (Le Sage.) L’allée est d’usage particulièrement dans les maisons de marchands dont la façade est occupée par des boutiques. (Boutard.) Il demeurait à un cinquième étage, dans une maison à allée. (Balz.) || Espace ordinairement bordé d’arbres, de plantes, qui s’étend en longueur et sert à la promenade : Les allées d’un parc, d’un jardin. Allée droite. Allée tortueuse. Allée de marronniers, de tilleuls, de lilas. Allée sablée. Allée bordée de buis, de fraisiers. Se promener dans une allée. Aristote choisit dans le Lycée un lieu où il y avait de belles allées d’arbres. (Fén.) Je passai plusieurs fois dans l’ allée bordêe de tilleuls où elles étaient assises. (Picard.) Il y avait là quelques allées étroites parquetées de sable rouge, encadrées d’œillets sauvages. (Lamart.) On sortit du quinconce, et l’on se dirigea vers une grande et profonde allée de tilleuls. (E. Sue.) Rien n’est plus fatigant qu’une longue promenade dans une allée tirée au cordeau. (L.-J. Larcher.)

J’entendis les enfants du nouveau possesseur
Sortant de la maison en joyeuse volée,
Courir de haie en haie et d’allée en allée.
Lamartine.

— Archéol. Allées, et plus souvent allées couvertes, Nom donné à des rangées de pierres druidiques disposées en allées, et qu’on appelle aussi roches aux fées, grottes aux fées, etc.

ALLÉE DES VEUVES. V. Veuve.

ALLÉGATEUR s. m. (al-lé-ga-teur — rad. alléguer). Qui allègue, qui se fonde sur des allégations. Vieux.

ALLÉGATION s. f. (al-lé-ga-si-on — rad. alléguer). Citation d’extrait, de passage d’un auteur qui fait autorité, d’un fait important dont on peut se servir comme de type pour juger les faits analogues avec lesquels on le compare : Cette allégation trop répétée est inhumaine, antipatriotique, destructive de la société. (Volt.) Son amour-propre s’irrita de voir toujours opposer des raisonnements captieux à ses allégations confuses. (E. Sue.) Quand on n’aura plus qu’à se débattre contre des allégations séparées de leurs preuves, on pourra mieux faire face à l’ennemi. (Balz.) || Proposition qu’on met en avant, affirmation : Il répondit fort habilement aux allégations de son adversaire. (Acad.). Le devoir du tribunal est de vérifier, avant tout, les allégations des requérants. (Balz.)

ALLÉGE s. f. (al-lé-je —rad. alléger). Mar. Barque qui sert à recevoir une partie des objets composant le chargement ou l’armement des navires, afin que ceux-ci soient réduits, momentanément ; à un moindre tirant d’eau. Mais ce nom s’applique plus particulièrement à des embarcations employées à charger ou à décharger les bâtiments que leur tirant d’eau empêche d’approcher assez près du bord : Il y a des alléges assez grandes pour pouvoir naviguer le long des côtes. (Acad.) Il sea trouva cent quatre-vingt-dix-huit vaisseaux de guerre en comptant les alléges. (Volt.) Jusqu’à la hauteur de Beaucaire, le fleuve est navigable pour les alléges, les tartanes, les bombardes, les bricks même. (L. Reybaud.) || Machine avec laquelle on soulève un vaisseau, et qu’on appelle aussi chameau.

— Archit. Mur d’appui d’une fenêtre, moins épais que l’embrasure.

— Ch. de fer. Chariot d’approvisionnement qui porte l’eau et le charbon. On dit plus généralement tender.

ALLÉGÉ, ÉE (al-lé-jé) part. pass. du v. Alléger. Rendu plus léger ; soulagé d’un poids, d’un fardeau : Un bateau, un plancher allégé. Être, se sentir allégé. Le navire, allégé de la moitié de son poids, fila plus rapidement. Les branches de cet abricotier, allégées depuis qu’on a cueilli les fruits, se sont relevées. Je me sens tout allégé depuis que j’ai quitté mon manteau. {Trév.)

— Par ext. Qui a l’air plus léger, qui donne à l’œil une impression de légèreté : Les plafonds sont agréablement peints et allégés par des couleurs claires. (Balz.)

Fig. : Si les contributions générales étaient allégées des dépenses inutiles, elles ne seraient pas difficiles à acquitter. (J.-B. Say.) Il se rendit chez la princesse, le cœur joyeux, l’esprit tout allégé des doutes injustes de la veille. (G. Sand.)

ALLÉGEABLE adj. (al-lé-ja-ble — rad. alléger). Qui est susceptible d’être allégé : Douleur allégeable.

ALLÉGEANCE s. f. (al-lé-jan-se — rad. alléger). Diminution du poids d’un fardeau. Inusité au propre.

— Fig. Adoucissement, consolation, soulagement : C’est peut-être à moi qu’ils doivent de n’avoir point de remords, douce et précieuse allégeance pour leur vieillesse. (Ch. Nod.)

Le temps à mes douleurs promet quelque allégeance.
Malherbe.
Où dois-je désormais chercher quelque allégeance ?
Corneille.
Je rends grâces au ciel, qui, pour mon allégeance,
Du côté de l’amour met la reconnaissance.
E. Augier.

Syn. Allégeance, allégement. Allégeance indique l’action d’alléger ; allégement, le résultat de cette action.

ALLÉGEANCE (Serment d’), serment de fidélité prêté au souverain par les Anglais, et qui fut institué sous Jacques Ier, en 1606, après la découverte de la conspiration des poudres.

L’allégeance est ou naturelle ou locale ; elle est naturelle pour tous ceux qui sont nés dans un pays soumis au roi d’Angleterre, et locale, pour les étrangers aussi longtemps qu’ils se trouvent sous sa protection. L’allégeance naturelle est encore perpétuelle ou temporaire. Voici la formule du serment d’allégeance : « Je, ……proteste et déclare formellement devant Dieu et devant les hommes que je serai toujours fidèle et soumis au roi …… » Le serment d’allégeance peut être imposé à tout individu âgé de plus de douze ans ; mais maintenant on ne l’exige guère que des hauts fonctionnaires. Les quakers en sont dispensés ; une simple déclaration de leur part suffit.

ALLÉGEANT (al-lé-jan) part. prés. du v. Alléger : Elles avaient espéré qu’en descendant de son cabinet, Morel entrerait chez elles, mais elles l’entendirent passer devant leur porte, allégeant son pas, dans la crainte, sans doute, d’être appelé. (Alex. Dum.)

ALLÉGEAS s. m. (al-lé-jâss). Comm. Etoffe de coton ou de fin qui se fabrique aux Indes orientales.

ALLÉGEMENT s. m. (al-lé-je-man — rad. alléger). Diminution d’un poids supporté : Allégement d’un navire. Donner de l’allégement à un plancher, à un bateau. (Acad.)

— Par ext. : L’allégement des impôts. L’allégement des charges publiques. Ce sera pour les contribuables un petit allégement. (Acad.)

— Fig. Soulagement, adoucissement, consolation : Je sens un peu d’allégement à mon mal. (Trév.) Cette nouvelle a été un allégement pour ma douleur. (Raym.) Je sortis de ce désert de granit (l’Escurial), de cette monacale nécropole, avec un sentiment de satisfaction et d’(allégement extraordinaires. (Th. Gaut.) Peut-être y trouverez-vous quelque allégement à vos austères ennuis. (G. Sand.) Lorsque je lui fis pressentir mon dessein, quoiqu’elle le combattit, je vis qu’elle recevait un grand allégement. (G. Sand.)

Mon âme avait trouvé dans le bien de te voir
L’unique allégement qu’elle eût pu recevoir.
Corneille

— Grav. Action de la main qui forme des hachures en appuyant moins dans un endroit que dans un autre.

Syn. Allégement, allégeance. V. Allégeance.

ALLÉGER v. a. ou tr. (al-lé-jé — lat. allevare ; formé de ad, à ; levis, léger ; — prend un e muet après le g devant les voyelles a et o : Il allégea, Nous allégeons, Vous allégeâtes. L’é qui précède le g est fermé dans toute la conjugaison : J’allége. Il allégerait, etc.). Rendre plus léger : Alléger la charge d’un porte-faix, d’une bête de somme. Quelquefois on allège un bâtiment pour aider à sa marche. (A. Jal.)

— Par ext. Rendre moins onéreux : Alléger les charges publiques. L’École militaire allége le poids de la conscription. (Napol. Ier.) Je voyageais en chaise de poste avec un négociant français qui avait cherché un compagnon de route pour alléger les frais du voyage. (Lamart.) Il faut qu’elle prélève sur les ressources de la communauté une part de moins en moins grande, et qu’elle allège nécessairement le poids du privilège dont elle jouit. (L. Reybaud.) Les charges publiques étant ce qu’il y 'a de plus sensible pour le contribuable, on s’attache aisément à qui promet de les alléger. (Viennet.) ||n On dit de même, Alléger les contribuables. Diminuer les charges, les impôts qui pèsent sur eux.

— Fig. Calmer l’inquiétude, adoucir l’ennui, le chagrin, la douleur : On a mille remèdes pour adoucir le malheur de l’honnête homme, on n’en trouve pas pour alléger celui du méchant. (La Bruy.) La plaisanterie allège pour un moment le poids de la vie. (Mme de Staël.) Il n’est point de souffrance que la sympathie n’allége. (Lamenn.) La vie a des fardeaux pour toutes les positions : la hauteur où on les porte n’en allège pas le poids. (Guizot.) La gaieté allége les ennuis du voyage. (H. Rigault.) La résignation allége l’infortune, la plainte en aggrave le poids. (Bonnin.) Confier ses peines, c’est les alléger. (Bonnin.) Demain, j’écrirai à Philippe, cela m’allégera un peu. (Alex. Dum.) J’aurai fait une bonne action, cela allége le cœur. (Alex. Dum.) Il mit lui-même la main à l’œuvre pour alléger leur peine. (G. Sand.)

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Grand Dieu,
La vie est un fardeau que ton bras nous allége.
A. Guiraud.
Sans doute il songe à moi comme je songe à lui ;
Cette douce pensée allégeait mon ennui.
Collin D’Harleville.

— Grav. Alléger la main, Conduire le burin légèrement avec la main, de façon à faire des hachures ou des traits moins prononcés dans un endroit que dans un autre.

— Manég. Alléger un cheval, Le rendre plus léger sur le devant ou sur le derrière, en portant le corps en arrière ou en avant : Votre cheval est trop pesant des épaules, il le faut alléger du devant. || Dans ce sens on dit aussi allégérir, allégir.

— Mar. Diminuer la tension des cordages : On allége les manœuvres lourdes et longues pour diminuer les frottements sur les surfaces où elles doivent passer. (A. Jal.) || Alléger un navire, Le rendre plus léger, le réduire à un moindre tirant d’eau en le débarrassant d’une partie de son chargement.

— Techn. Rendre une pièce de bois ou de métal plus légère, plus mince, en l’amenuisant, en la tournant ou en la limant.

S’alléger, v. pr. Être allégé, au prop. et au fig. : S’alléger pour marcher avec plus de facilité. (Acad.) Ma douleur s’est un peu allégée. (Acad.) A mesure que Sténio s’éloignait, je sentais le poids de la vie s’alléger sur mes épaules. (G. Sand.)

Je m’allège du faix dont je suis accablé.
Malherbe.

Syn. Alléger, soulager. Alléger signifie Diminuer le poids d’un fardeau, d’une souffrance en quantité pour ainsi dire déterminée et avec un effet localisé. Soulager implique une action plus vague, dont l’effet peut s’étendre à toute la chose ou la personne allégée.

Antonymes. Alourdir, appesantir, charger, grever, lester, surcharger.

ALLÉGÉRIR v. a. ou tr : (al-lé-jé-rir — rad. alléger). Manég. Syn. de alléger.

ALLÉGHANIEN, ENNE adj. (al-lé-ga-ni-ain, è-ne). Qui concerne les monts alléghanys : Le système alléghanien comprend les montagnes qui sillonnent les États-Unis et les possessions anglaises de l’Amérique du Nord. (Béraud.) Le système alléghanien est formé de plusieurs chaînes de montagnes réunies comme un seul groupe. (Malte-Brun.)

ALLÉGHANY ou ALLÉGANY, longue chaîne de montagnes appelées aussi monts Apalaches, parallèle à la côte de l’océan Atlantique, dans l’Amérique du Nord, et qui s’étend depuis l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’à celle de l’Alabama. Sa longueur est d’environ 1,600 kil. Elle parcourt les États de la Caroline du Nord, de la Virginie, du Marvland, de la Pensylvanie et de New-York. C’est un assemblage de plusieurs chaînes parallèles, dont les deux principales sont les montagnes de Cumberland à l’ouest, et les montagnes Bleues à l’est. Le point culminant de celles-ci est le mont Washington, élevé de 2,000 mètres. Les différentes parties des Alléghanys laissent entre elles de riantes vallées plus ou moins profondes ; on y trouve des mines de fer, de plomb, de l’or en assez grande quantité, du bitume, de l’anthracite, des salines en abondance ; mais le charbon est la richesse minérale la plus importante.

ALLÉGHANY, riv. des États-Unis, affluent de l’Ohio, dans l’État de Pensylvanie.

ALLÉGIR v. a. ou tr. (al-lé-jir —rad. léger). Manég. et techn. V. Alléger.

Syn. Allégir, aiguiser, amenuiser. V. Aiguiser.

ALLÉGISSANT (al-lé-ji-san) part. prés du v. Allégir.

ALLÉGISSEMENT s. m. (al-lé-ji-se-man — rad. alléger). Action d’alléger le train de devant ou celui de derrière des animaux : L’allégissement de l’avant-main du bœuf contribuerait à le rendre plus fort.

ALLÉGORIE s. f. (al-lé-go-rî — du gr. allos, autre ; agorein, représenter). Fiction transparente au moyen de laquelle, outre le sens littéral qui n’est point destiné à fixer l’esprit, on veut éveiller dans celui-ci une autre idée cachée, pour ainsi dire, sous l’enveloppe des mots pris dans leur acception naturelle : Le songe de Pharaon est une allégorie aussi juste qu’elle était obscure avant l’explication de Joseph. Le bandeau, les ailes et l’enfance de Cupidon sont une allégorie qui représente le caractère et les effets de la passion de l’amour. (Acad.) Il faut avouer que l’antiquité s’expliqua presque toujours en allégories. (Volt.) Le mérite de l’ allégorie est de n’avoir pas besoin d’expliquer la vérité qu’elle enveloppe ; elle la fait sentir à chaque trait par la justesse de ses rapports. (Marmontel.) ‘‘L’allégorie est proprement l’esprit des Orientaux ; c’est ce qui les a conduits à l’invention de l’apologue. (La Harpe.) La religion est une allégorie de la justice. (Proudh.) Ou le catholicisme est l’allégorie de la société, ou il n’est rien. (Proudh). On connait l’ingénieuse allégorie de Platon, qui dit qu’au commencement des siècles l’époux et l’épouse venaient ensemble au monde et ne constituaient qu’une seule créature animée. (Alibert.)

— En poésie, on a personnifié l’allégorie :

L’Allégorie habite un palais diaphane.
Lemierre.
Partout l’Allégorie, aux voiles transparents,
A conduit par la main ses Alcides errants.
Al. Soumet.

— Petit poëme dont le fond est une fiction allégorique : Les apologues et les paraboles sont des allégories. (Acad.) Les allégories de Rousseau sont d’un style moins inégal et moins incorrect que ses épitres. (La Harpe.)

— Rhét. Figure qui n’est qu’une métaphore prolongée : Un des caractères de ces auteurs, c’est de pousser à bout les allégories. (Boss.) L’allégorie peut être d’un bel effet dans l’éloquence et dans la poésie. (La Harpe.) Les épopées d’Homère abondent en allégories. (Tissot.)

— Peint. et sculpt. Composition d’un artiste représentant une idée abstraite au moyen de figures choisies et disposées pour faire comprendre cette idée Le tableau de la Calomnie, d’Apelle, était une magnifique allégorie. Les allégories en peinture sont généralement froides. C’est sous l’influence de l’allégorie que Prudhon conçut et exécuta son tableau, la Justice et la Vengeance poursuivant le crime, et Vigneron son Convoi du pauvre.

— Encycl. L’allégorie est, comme l’indique l’étymologie, un discours qui exprime autre chose que ce qu’il énonce directement. Elle peut être considérée : 1o  comme une figure du discours, 2o  comme un mode général d’expression, 3o  comme un mode d’interprétation.

I. Considérée comme une figure du discours, l’allégorie n’est qu’une métaphore plus étendue.

En voici un bel exemple, tiré de Rome sauvée, tragédie de Voltaire. Catilina dit, en parlant de Cicéron, qui dirige les affaires de la république et qui soupçonne sa conspiration :

Sur le vaisseau public ce pilote égaré
Présente a tous les vents un flanc mal assuré ;
Il s’agite au hasard, à l’orage il s’apprête,
Sans savoir seulement d’où viendra la tempête.

Il n’y a pas, en effet, dans ces quatre vers, une seule expression qui ne soit employée dans un sens détourné. Le vaisseau, c’est la république ; le pilote, c’est Cicéron ; les vents sont les ennemis de l’État ; la tempête, c’est la conjuration.

Un autre modèle d’allégorie souvent cité est celui que nous offre l’ode célèbre où Horace peint, sous l’emblème d’un vaisseau livré aux vents et aux flots, la république prête à se plonger dans les horreurs de la guerre civile. En poésie, le mot allégorie s’applique aux fictions où des êtres moraux sont personnifiés, quelle que soit l’étendue de ces fictions. Ces allégories prennent ordinairement le nom d’allégories de composition ; telles sont la Ceinture de Vénus et les Prières dans l’Iliade, la Renommée dans l’Énéide, Béatrix dans la Divine Comédie, la Mollesse dans le Lutrin, l’Envie dans la Henriade. La parabole et l’apologue ne sont autre chose que des allégories de composition.

II. L’allégorie est aussi ancienne que le monde ; « elle est, dit M. Tissot, la figure universelle par laquelle le genre humain tout entier entre dans l’ordre intellectuel et moral. » Il faut bien comprendre que le langage primitif était uniquement composé d’images ; que l’allégorie y suppléait à l’absence de termes, abstraits, et qu’avant de devenir un voile ingénieux, un ornement du discours, elle fut un mode général et nécessaire d’expression. C’est à l’allégorie, naissant spontanément de l’esprit humain, qu’on peut rapporter toutes les mythologies. Nous trouvons l’allégorie dans un grand nombre de proverbes populaires : Petite pluie abat grand vent ; Mettre de l’eau dans son vin ; Pécher en eau trouble, etc. Elle se montre dans le langage d’action : Tarquin le Superbe, abattant en présence de son fils les têtes des pavots les plus élevés, pour lui indiquer qu’il faut frapper les principaux citoyens de Gabies, faisait une allégorie. Enfin elle appartient aux arts pittoresques comme au discours. (V. plus loin Allégorie dans les arts.) L’Orient, qui est la terre classique du despotisme, est par là même celle de l’allégorie. Ce n’est pas, on le comprend, à la cour des despotes que la vérité peut se montrer toute nue. On raconte qu’un sage persan, voulant faire comprendre à Alexandre le Grand l’instabilité de ses conquêtes, se fit apporter devant lui une peau sèche et non tannée. L’ayant posée à terre, il appuya le pied sur une extrémité, et aussitôt toutes les autres parties se soulevèrent.

Le jeu d’échecs lui-même est une allégorie orientale. Sans les pions, ou soldats, le roi est tout à fait impuissant.

III. L’allégorie joue un très-grand rôle dans l’interprétation des Écritures par les théologiens. Ils y distinguent deux sortes de sens en général : le sens littéral et le sens mystique. ce dernier se divise lui-même en plusieurs espèces, parmi lesquelles se place le sens allégorique proprement dit, lequel montre, dans une chose qui s’est accomplie réellement, la figure d’une autre chose ainsi prophetisée. Le serpent d’airain, élevé par Moïse dans le désert pour guérir les Israélites de leurs plaies, représentait, dans un sens allégorique, Jésus-Christ élevé en croix pour la rédemption du genre humain. Dans les premiers siècles du christianisme, on vit juifs, gnostiques, néoplatoniciens, chrétiens hérétiques et chrétiens orthodoxes, se livrer à l’envi à l’interprétation