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Triers longtemps muettes, mais restées entières, les mêmes prétentions utopistes se

tirent jour. Leur radicalisme parut même plus net et plus complet : le premier mot prononcé fut celui de liquidation sociale. L’auteur n’a pas de peine à démontrer que nette idée, que l’on trouve pour la première fois énoncée par Proudhon, ne saurait comporter un examen bien sérieux, qu’il serait impossible d’établir d’une façon quelconque la valeur fiduciaire par laquelle l’État liquidateur payerait les citoyens liquidés. Peutêtre n’insiste-t-il pus assez sur ce point que, cette valeur fiduciaire supposée réelle, la conversion de toutes les autres, la ruine du crédit, la destruction ou seulement l’arrêt momentané de l’agencement commercial et industriel transformeraient immédiatement la liquidation en banqueroute.

On voit de même que la gratuité du crédit aurait pour premier résultat de forcer le capitaliste à vivre sur son capital, c’est-à-dire. a le consommer rapidement, sans qu’il y eût pour lui aucune chance de le reconstituer dans un pareil ordre de choses. Le citoyen pourvu de l’outillage, condamné à un travail qu’il devra produire, et dont la quantité est invariablement fixée d’avance, a pour véritable type l’habitant du Paraguay dans les possessions des jésuites, avec les distributions quotidiennes qui le nourrissaient, l’absence de toute initiative, l’impossibilité de progrèsser par le fruit de son travail. C’est le bagne, moins la contrainte brutale, et il n’y a dans l’histoire, il faut le dire bien haut, aucun despotisme, si absolu qu’il fût, qui jamais soit arrivé à une pareille négation de la justice et de la liberté.

M. Bénard n’admet pas plus le communisme, qu’il appelle «une maladie s’attaquant aux cerveaux incompris ou plutôt incomplets. » Il distingue plusieurs espèces de communismes politiques : 1<> le communisme pur, qui formule hardiment sa doctrine en demandant la suppression du capital et la confiscation des propriétés particulières au profit de l’État ; 2° le communisme autoritaire, genre jésuite, qui veut confisquer la propriété et le capital au profit de l’État, devenu ainsi grand entrepreneur de travail et suprême distributeur des tâches et des pitances ; 3" le communisme collectiviste, genre russe et genre arabe, partageant la terre en portions communales ou paroissiales ; 4° le communisme individualiste, réclamant le partage égal des richesses sociales et laissant ensuite chaque individu se tirer d’affaire comme il le pourra.

Les chances que pourrait avoir le communisme de s’établir en France s’expliquent et se traduisent par les chiffres suivants. En 1815, on comptait 3,805,000 familles possédant ■44,750,000 hectares de terre ; en 1860, le nombre des familles propriétaires s’élevait à 5,550,000, qui possédaient 45,000,000 d’hectares. Cette différence provenait du morcellement de la propriété, source de richesses, d’après l’auteur.

(Dans le chapitre intitulé : Guerre au capital, l’auteur expose l’opinion célèbre de Turgot : ■ Le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour assurer sa subsistance. » Cette erreur était fondée sur ce que Turgot considérait la propriété du sol comme la seule source de la richesse, tandis que tous les économistes reconnaissent aujourd’hui que la classe des travailleurs est productrice de richesses aussi bien que celle des laboureurs. À ce sujet, l’auteur, selon nous, se fait une singulière illusion lorsqu’il donne comme un fait d’expérience que, «avec la division du capital dans un nombre infini de mains, chacun des détenteurs de ce capital, voulant le faire valoir pour qu’il ne s’évanouisse pas sans retour, offre de payer le

plus cher qu’il peut pour obtenir l’aide du travail. » Cela serait exact si l’on supposait constante chez tous les capitalistes la moyenne de l’intelligence, du discernement financier ; malheureusement, il n’en est pas ainsi, et nous voyons autour de nous les petits capitalistes, c’est-à-dire ceux dont le capital provient le plus immédiatement et le plus exclusivement d’épargnes longues et pénibles,

refuser leurs ressources a l’industrie pour aller à la Bourse les épuiser dans des affaires véreuses.

Nous ne jugeons pas non plus qu’il faille attacher une grande importance a cet argument, que nia situation du travailleur tend a s’améliorer par la réduction graduelle du nombre de ceux qui ne peuvent compter exclusivement que sur le produit d’un travail

salarié pour se procurer les moyens de vivre. Il est T>ien entendu que cette réduction graduelle du nombre des salariés ne provient que du passage de ceux-ci dans la classe des petits capitalistes. » Longtemps encore, nous le croyons, ce passage sera trop lent et trop rare pour qu’on puisse le considérer comme un sérieux élément d’amélioration sociale.

Nous signalerons enfin, comme le côté le plus original de cette étude, le chapitre du Droit au profit, dans lequel, après avoir facilement établi, au moyen de l’argumentation de M. Thiers, qu’il n’est autre chose que le droit au travail déguisé, l’auteur retourne victorieusement les mêmes armes contre son allié d’un moment et prouve que les protectionnistes réclament au haut de l’échelle,

comme un droit, la garantie du bénéfice, tandis que tout le monde est à peu près d’ac SOCI

cord aujourd’hui pour reconnaître qu’il est impossible de donner au travailleur la garantie du salaire.

La réfutation du mutuellisme de Proudhon est également curieuse.

Dans sa conclusion, l’auteur aborde les réformes politiques, et l’énnmération de celles qu’il réclame prouve que, tout en combattant de généreuses utopies, il n’en est pas moins animé de sentiments fort libéraux. En effet, il demande l’abolition de tous les privilèges et la consécration de toutes les libertés, et prêche en faveur du pauvre, qu’il veut racheter de l’esclavage abrutissant de la misère.

SOCIALISTE adj. (so-si-a-li-ste — rad. social). Qui a rapport au socialisme ou a ses partisans : Doctrine socialiste. Depuis trente ans, les écoles socialistes ont attaqué la propriété et le capital, comme autant de monopoles destructifs du travail et de l’égalité. (Ed. Laboulaye.)

— Substantiv. l’artisan du socialisme : Les socialistes imaginent une société de fantaisie et un cœur humain assorti à cette société. (F. Bastiat.) Qui dit socialiste dit républicain de toutes nuances et de toutes dates. (E. de Gir.)

SOCIALITÉ s. f. (so-si-a-li-té — rad. social, ) Instinct social, caractère de l’être social.

SOCIANTISME s. m. (so-si-an-ti-smerad. soci’er). Phil. soc. Période intermédiaire qui suit le garantisme et précède l’harmonie, dans le système de Fourier.

SOCIER v. a. ou tr. (so-si-é — du lat. socius, compagnon. Prend deux i de suite aux deux prem. pers. pi. de l’imp. de l’ind. et du prés, du subj. : Nous sociions ; que vous sociiez). Joindre, unir, associer : Socier plusieurs personnes. || Peu usité.

— v. n. ou intr. S’accorder, faire alliance : Les hommes socient parce qu’ils s’en trouvent bien. (Bastiat.) || Peu usité.

SOCIÉTAIRE s. (so-si-é-tè-re — rad, société). Personne qui fait partie d’une société, d’une association : Les sociétaires de la Comédie-Française.

— adj. Qui fait partie d’une société, d’une association : Artiste sociétaire de la Comédie-Française.

— Philos, Qui a rapport à la marche ou à l’histoire des sociétés humaines, l ! École sociétaire, École phalanstérienne.

— Zool. Qui vit en société : Poissons sociétaires. Insectes sociétaires.

SOCIÉTAIREMENT adv. (so-si-é-tè-re-inan

— rad. sociétaire). En sociétaire, par société. || Peu, usité.

SOCIÉTARIAT s. m. (so-si-é-ta-ri-arad. sociétaire). Qualité de sociétaire : Un acteur qui brigue le sociétariat.

SOCIÉTÉ s. f. (so-si-é-té — latin societas, mot qui, selon Eichhoff, représente exactement le sanscrit sakhilvan, amitié, de sakhâ, sakhyas, ami, en latin socius, formes qui se rattachent, d’après ce savant, à la racine sanscrite sagg ou sarg, joindre, adhérer, devenu en gr. saga et en lithuanien segu). État social, état d’hommes ou d’animaux vivant sous des lois communes : Vivre en société. Être fait pour la’ société. Les hommes ne vivraient pas longtemps en société, s’iïs n’étaient pas dupes les uns des autres. (La Rochef.) Étant nés pour la société, nous sommes nés en quelque sorte les uns pour les autres. (Boss.) Les droits des hommes réunis en société ne sont point fondés sur leurs annales, mais sur leur ?iature. (Turgot.) L’amour du travail est la vertu de l’homme en société. (Mme Roland.) Tous les-droits naturels et civils de l’homme en société sont sous la garde des tribunaux. (Royei -Collard.) La propriété existe de par la société. (B. Const.) L’état de société est nécessaire à l’homme pour qu’il puisse connaître tous les liens de l’affection et acquérir toute l’intelligence dont il est susceptible. (Azaïs.) La société développe l’homme ; l homme perfectionne la société. (Ballanche.) La société, dans son sens le plus large et le plus ! simple à la fois, c’est la relation qui unit l’homme à l’homme. (Guizot.) La société est le développement régulier, l’exercice paisible de toutes tes libertés sous la protection de leurs droits réciproques. (V. Cousin.) Obéir à des lois, c’est la société. (Lamenn.) La société est un fait universel qui doit reposer sur des fondements universels. (V. Cousin.) La société est une loi de la nature. (A. Martin.) L’homme tient ses droits de In société, non de la nature. (E. de Gir.) Qu’est-ce que la société ? Un moyen de s’entr’aider. (F. Pyat.) L’homme est organisé physiquement pour vivre en société. (A. Maury.)

— Réunion d’hommes ou d’autres êtres vivants, soumis à des lois communes : Chaque famille forme une société naturelle dont le père est le chef. (Acad.) Il y a dans la nature trois espèces de sociétés : ta société libre de l’homme ; la société gênée des animaux, toujours fugitive devant celle de l’homme, et enfin la société forcée de quelques petites bêtes qui, naissant toutes en même temps dans le même lieu, sont contraintes d’y demeurer ensemble. {Buff.) Une société la paix n’a d’autre base que l’inertie des sujets, lesquels se laissent conduire comme un troupeau et ne sont exercés qu’à l’esclavage, ce n’est plus


« ne société, c’est une solitude. (Spinoza.) La famille est le premier modèle des sociétés politiques. (J.-J. Rouss.) Les sociétés finissent dans les boudoirs et recommencent dans tes camps. (De Bonald.) D’une société qui se décompose, les flancs sont inféconds. (Chateaub.) Les sociétés meurent comme les individus. (Chateaub.) Le fait essentiel et caractéristique de la société civile en France, c’est l’unité de lois et l’égalité de droits. (Guizot.) Une société ne se dissout que parce qu’une société nouvelle fermente et se forme dans son sein. (Guizot.) La famille est une société en raccourci. (Lamart.) Les sociétés humaines, faites par des hommes et pour des hommes, ne relèvent point de pouvoirs étranges et mystérieux. (V. Cousin.) La société ecclésiastique ne met pas les femmes dans l’Église, mais elle les met tout près. (St-Marc Gir.) La société politique repose encore tout entière sur le principe païen de la force et du privilège. (Guéroult.) Faute de capital, la société antique était une société famélique. (Mieh. Chev.) Tous les despotismes se sont fondés en persuadant aux sociétés qu’ils feraient mieux leurs affaires qu’elles-mêmes. (Renan.) Rien ne me parait plus beau qu’une société où chacun est maître de ses droits et prend part au gouvernement. (Ed. Laboulaye.)

— Corps social, ensemble des hommes, en tant que vivant sous des lois communes : Défendre la société, les droits de la société. La société est tenue de rendre la vie com-

, mode à tous. (Boss.) Lorsque la société marche dans la route de la raison, c’est le découragement qu’il faut surtout éviter. (Mme de Staël.) La société peut lout supporter, la violence, l’usurpation, l’iniquité, mais non l’altération systématique du juste. (Laurentie.) Le signe de la barbarie, c’est ta prépondérance de la force sur. le droit et de l’individu sur la société. (Rigault.) La société a pour élément l’homme, qui est une force libre. (F. Bastiat.) Les vices que la société approuve s’ennoblissent par le nombre et.l’autorité des coupables. (Giraud.) La société doit à tous ses membres la sécurité de l’existence. {D. Stern.) La société est un milieu, que nous organisons de génération en génération pour y vivre. (P. Leroux.) À l’avenir Usera plus aisé de concevoir la société sans le gouvernement que la société avec le gouvernement. (Proudh.) La société 1 c’est à ce mol que, depuis des siècles, on immole l’humanité ! (E. de Gir.) La société a trois degrés : ta famille, la commune, l’État. (E. de Gir.) Le despotisme est un attentat contre l’existence morale de la SOCIÉTÉ et de ses membres. (L’abbé Bautain.) L’immobilité de ta richesse immobilise à son tour la société. (E. Peiletan.) La société ne subsiste qu’à la condition de se conslttuer un gouvernement. (Proudh.)

— Compagnie, association de personnes soumisesàun règlementcommun ou régies par des conventions : Société littéraire. Société savante. Société religieuse. Ouvrage fait en société, en société avec quelqu’un. (Acad.) Les académies sont des sociétés comiques où l’on garde son sérieux. (Mme de Linange.) Ce qu’on appelle esprit de corps anime toutes les sociétés. (Volt.) Les chrétiens ne furent d’abord qu’une société secrète, et ils ont conduis le monde. (Chateaub.) Il n’y a de société qu’entre les intelligences. (Lamenn.)

— Compagnie de personnes qui s’assemblent pour converser, pour jouer, pour se livrer ensemble à quelque divertissement ; rapports que ces personnes ont entre elles : Société agréable, choisie. C’est un homme de bonne compagnie, il faut l’admettre dans notre société. Il faut le bannir de notre société. // vit dans les meilleures sociétés. (Acad.) La maladie ne laisse pas d’avoir de grands avantages ; elle délivre de la société. (Volt.) La plaisanterie de société est une mousse légère qui s’évapore. (Dider.) La première chose qui se présente à observer dans un pays où l’on arrive, n’es£-ce pas le ton général de la société ? (J.-J. Rouss.) La crainte du ridicule est une des principales causes de la froideur qui règne dans la société anglaise. (Mme de Staël.)

Les qualités du cœur, l’exacte probité Sont l’âme et le lien de la société.

La Chaussée.

Il Personnes actuellement réunies pour causer ou se divertir : Saluer la société.

— Commerce ordinaire, fréquentation habituelle : Je Irouue beaucoup de douceur, d’agréments dans sa société. Il est d’une bonne société. Cette personne est de ma société. (Acad.) L’éléphant aime la société de ses semblables. (Buff.) La société des dindons ne pousse pas aux idées romanesques. (Th. Gautier.)

Haute société, Ensemble des personnes les plus marquantes par leur éducation, leur rang, leurs habitudes somptueuses -.Fréquenter la haute société.

Vers, couplets de société. Vers, couplets qui ont été faits pour le plaisir d’une réunion particulière, et qui ne sont point destinés au public : Il déridait aussi l’entretien par des citations de ses poésies et de ses couplets de société. (Lamart.)

Société conjugale, Union des époux : La société conjugale ne pourrait subsister si l’un des époux n’était subordonné à l’autre. (Touiller.) La société conjugale est de droit plus étroit que la société fraternelle. (Proudh.)


— Hist. relig. Société de Jésus ou simplement Société, Ordre des jésuites : L’inquisî tion et la Société, tes deux fléaux de la vérité (Pasc.) La société de Jésus a un caractère essentiellement politique. (Dupin,) La société de Jésus prétend rayonner sur l’univers entier. (Dupin.)

— Comm. et fin. Contrat d’association formé entre plusieurs personnes, pour une exploitation commerciale, industrielle ou financière. Il Société en nom collectif, Celle que contractent plusieurs personnes sous une raison sociale. Il Société anonyme, Celle qui n’est pas au nom d’un ou plusieurs principaux intéressés, et dont les membres ne s’obligent que jusqu’à concurrence de leur apport social, soit en numéraire, soit en valeurs industrielles. 11 Société en commandite, Celle qui se contracta entre un ou plusieurs associés responsables et solidaires et un ou plusieurs simples bailleurs de fonds, dits commanditaires, il Société en participation, Société qui a pour objet certaines affaires déterminées, et qui ne doit avoir que la durée de ces affaires.

— Aritbm. BAgte de société, Règle qui a pour but de partager les gains et les pertes entre des associés ; proportionnellement & leur apport spécial, et, en général, de partager un nombre en parties proportionnelles à des nombres donnés. Il On l’appelle aussi règle de compagnie.

— Syu. Société, association. Y. ASSOCIATION.

— Encycl. Philos, soc. L Origine de la société. Les philosophes du siècle dernier expliquaient l’origine des sociétés par la théorie du contrat social. La plupart des philosophes de notre temps se sont élevés contra cette théorie. Ils se sont appliqués à montrer que l’association est un fait d’instinct et de nécessité, déterminé partout et toujours par lanatureessentiellementsociable de l’homme, et non par une raison de devoir et d’intérêt. La sociabilité, disent-ils, est un trait caractéristique de l’espèce, de même que la raison, la conscience et la volonté. L’homme hors de la société est un être imaginaire, une abstraction. L’homme vrai, l’homme réel est celui qui vit en société et par la société. Aussi haut que remonte l’observation historique, elle découvre des races, des nations, des peuplades, des tribus, jamais d’individus. A proprement parler, ce n’est pas la société qui est l’abstraction et l’individu la réalité ; c’est, au contraire, la société qui est la réalité, et l’individu l’abstraction. En un mot, l’état de nature, pour parler le langage des philosophes, c’est 1 état social. La psychologie et l’histoire n’en connaissent pas d’autre. L individu, n’entre pas dans la société avec la parfaite conscience de ses droits et de ses intérêts, comme une personne libre qui stipule tout d’abord la garantie des uns et des autres, en échange des sacrifices auxquels elle s’engage ; il y entre comme un simple élément dans un tout naturel, selon le mot de Bossuet. C’est moins une personne qu’une force naturelle, égoïste et sociable tout a la fois, mais purement instinctive dans son égoîsme aussi bien que

dans sa sociabilité. Le sentiment du droit manque à l’un de ces mobiles, de même que la conscience du devoir manque à l’autre. Aussi la force et la crainte sont-elles à peu près les principes régulateurs des sociétés primitives. On y parle bien de loi et de religion ; mais ni les religions d’amour, ni les lois de justice ne sont de ce temps. L’homme alors n’obéit qu’à une autorité étrangère, dite supérieure a sa conscience et à sa raison. Il en est de l’origine de la société comme de celle du langage, de la religion, de la législation, des arts, de toutes les institutions vitales de l’humanité. La logique, la métaphysique, la philosophie, la science n’y sont rien tout d’abord ; c’est la nature qui en fait tous les frais. Plus tard, à mesure que la conscience et la raison s’éveillent, les institutions sociales, religieuses, morales, politiques, économiques se développent, s’épurent, se dégagent de leur origine toute naturelle, se transforment eu notions rationnelles, en théories scientifiques. Le langage se ramène à des lois, la religion à des idées, la législation à des principes, les arts à des méthodes, la société à de libres conventions.

Nous croyons qu’il faut maintenir contre les idées de philosophie sociale régnantes la thèse du contrat social. Il s’agit seulement de la bien comprendre, et malheureusement elle a été souvent mal comprise. On a feint de supposer que, suivant l’opinion des théoriciens du contrat social, les hommes avaient d’abord vécu sans éprouver les effets des sentiments et de la raison qui les portent vers l’état de société, puis, frappés de l’insécurité et des autres inconvénients de l’indépendance totale, et délibérant d’y mettre lin, avaient fondé l’établissement de la puissance publique sur une convention formelle. Mais quoique les termes dont Hobbes, Locke et Rousseau se sont servis soient très-loin d’être irréprochables, c’est les interpréter d’une manière bien superficielle que d’y chercher seulement une thèse d’histoire, dont ces penseurs auraient pu se passer, et de refuser d’y voir une thèse philosophique et morale qui en fait la véritable essence.

Les théories de Hobbes lui-même ont un sens rationnel qui se dégage de ses expressions originales et profondes, comme tou-


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