Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 15, part. 4, Vl-Zz.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduits par Énée (Énéide, l. VII). Dans leur armée parut avec éclat cette Camille que Virgile a chantée. Ces légendes symbolisaient sans doute la longue résistance que les Volsques firent à la puissance naissante de Rome. C’étaient des peuples belliqueux et indépendants. Lorsque les Étrusques franchirent le Liris et vinrent s’établir dans la Campanie, les Volsques se réfugièrent dans les Apennins, où les envahisseurs n’osèrent les attaquer ; ils reprirent même un peu plus tard le pays plat sur les Étrusques et furent continuellement en guerre avec leurs voisins, les Marses, les Samnites et les Latins. Tite-Live dit qu’ils semblaient avoir été donnés au soldat romain pour le tenir sans cesse en haleine.

Au moment de leur plus grande puissance, ils possédaient, outre les villes citées plus haut : Velletri, Cora, Norba, Segni, où il reste encore des vestiges des murailles dont ils avaient entouré la ville ; Circeis, Sulmone, Sora et Frigelles, sur les bords du Liris ; enfin Atina et Casinum. Leurs ports principaux étaient Antium et Terracine. Les Volsques étaient d’excellents marins et leurs navires sillonnaient toute la mer Tyrrhénienne et une partie de la Méditerranée. Leurs luttes continuelles contre toutes les petites nations du Latium eurent pour effet de faciliter les conquêtes de Rome, qui ne trouva plus devant elle que des peuples à demi détruits ; mais il lui fallut soumettre les Volsques eux-mêmes et la résistance fut longue. Les annales romaines ont conservé le souvenir de quatre guerres des Volsques. Dans la première, les Romains furent d’abord vaincus ; les Volsques leur prirent Antium, dont ils firent leur principal port, et Circeis (265-270 de la fondation de Rome) ; Coriolan leur reprit la petite ville de Corioles, d’où il tira son surnom, et Antium ; banni de Rome, il se réfugia chez les Volsques, se mit à leur tête, reprit aux Romains les conquêtes que ceux-ci lui devaient et vint camper aux portes de Rome avec son armée victorieuse (295). Il se retira sur la prière de sa mère, et les Volsques consentirent aussitôt, avec une condescendance bien rare, à perdre le fruit de cette rapide campagne. Toute cette histoire a été traitée avec raison de fable par Niebuhr. Dans la seconde guerre, les Romains, sous la conduite du dictateur Atilus Tubertus Posthumius, parvinrent à refouler les Volsques et les battirent complètement sur les bords de l’Algidus (306 de Rome). La troisième guerre eut des effets encore plus marqués ; Rome, faisant face à la fois aux Eques et aux Volsques, prit à ceux-ci Terracine (319). La quatrième guerre fut la plus longue et la plus acharnée ; les Volsques, vaincus par Camille à Satricum, se relevèrent promptement et battirent à leur tour les Romains en 376 ; mais ceux-ci s’emparèrent de Vélitres (Velletri) après un siège de trois ans ; une partie du territoire volsque fut incorporée dans la tribu appelée Pomptina (402) ; les Volsques d’Antium et de Privenum furent vaincus en 409 et Vélitres incorporée à la tribu Scaptia en 417 ; les vaisseaux d’Antium, devenus la proie des vainqueurs, furent conduits dans les arsenaux de Rome. Il y eut encore çà et là des tentatives de résistance, mais la nationalité volsque avait vécu.


VOLT s. m. (voltt — lat. vultus, même sens). Visage. || Vieux mot.

— Superst. Figure de cire soumise à certains mauvais traitements, que la personne représentée par cette figure était censée subir elle-même.


VOLTA s. f. (vol-ta — mot ital.). Mus. Fois, reprise. || Mot usité dans les expressions italiennes Prima volta, Seconda volta, etc., Première fois, seconde fois.


VOLTA, ville du royaume d’Italie, province de Brescia, district de Castiglione-delle-Stiviere, à 17 kilom. N.-O. de Mantoue, ch.-l. de mandement ; 4,400 bab.


VOLTA, petit fleuve d’Afrique, dans la Guinée septentrionale. Il descend du versant méridional des monts Kong, dans le royaume de Dahomey, coule au S., entre le royaume des Achantis et le Dahomey, et se jette dans le golfe de Guinée, sur la côte d’Or, près du cap Saint-Paul, après un cours de 620 kilom. Des rochers et surtout de vastes bancs de sable en obstruent l’embouchure.


VOLTA (Alexandre), illustre physicien italien, né à Côme (Milanais) le 18 février 1745, mort dans la même ville le 6 mars 1827. Il était déjà à dix-huit ans en correspondance avec l’abbé Nollet sur toutes les questions importantes de la physique. À vingt-quatre ans, il tenta de donner une théorie de la bouteille de Leyde ; mais ce premier essai ne contient que des idées systématiques, souvent peu justes, dont la science n’a tiré aucun profit. Un second mémoire, donné par lui en 1771, produisit une impression plus profonde et vaut au jeune physicien la place de régent de l’École royale de Côme et bientôt après celle de professeur de physique. Dans ce second mémoire, Volta étudiait les différentes manières de produire les phénomènes électriques par pression, par percussion, etc., et essayait de déterminer dans chaque cas le genre d’électricité développé sur le corps soumis à l’expérience. Peu de temps après, il imagina l’électrophore perpétuel, dont l’usage est si commode dans toutes les recherches continues où l’on se propose de comparer entre elles les quantités d’électricité développées dans une série d’expériences, d’étudier la loi de la distribution de l’électricité à la surface des corps, celle de sa déperdition dans l’air, etc. C’est encore vers la même époque que Volta fit l’invention du condensateur électrique, au moyen duquel des quantités, autrement imperceptibles, d’électricité peuvent être rendues facilement sensibles. En 1776 et 1777, des recherches sur la nature et la composition du gaz inflammable des marais suggérèrent successivement à Volta l’idée de l’eudiomètre, qui a rendu tant de services aux chimistes ; celle de la lampe perpétuelle à gaz hydrogène ; enfin celle du pistolet électrique.

Jusqu’alors, Volta n’était pas sorti de sa ville natale. En 1777, il visita Haller à Berne, Saussure à Genève, Voltaire à Ferney, et apporta la pomme de terre à ses compatriotes. La relation que Volta a écrite de ce voyage scientifique a été imprimée en 1827. Une chaire de physique ayant été créée en 1779 à l’École de Pavie, il fut appelé à la remplir et il l’a occupée avec éclat jusqu’en 1819. De 1780 à 1782, il visita la France, l’Allemagne, la Hollande et l’Angleterre, pour y lier des relations scientifiques avec Lavoisier et Laplace, Lichtenberg, Van Marum, Priestley, et rassembla les éléments du cabinet de physique de l’École où il venait d’être appelé. C’est pendant ce voyage qu’il concourut avec Lavoisier et Laplace à l’importante découverte de la cause à laquelle on peut attribuer l’électricité atmosphérique. La célèbre expérience qui conduisit à cette découverte est de 1780 : les trois illustres savants, ayant fait évaporer l’eau contenue dans un vase métallique isolé, constatèrent, à l’aide du condensateur de Volta, que ce vase se chargeait d’électricité négative. Cette découverte a malheureusement donné lieu à des revendications amères entre Volta et les deux savants français. De 1785 à 1787, Volta s’occupa d’expériences sur l’électricité atmosphérique. Il avait déjà imaginé son électromètre à pailles sèches, dont l’écart mesure à peu près exactement l’intensité électrique de la source ; il conçut l’idée heureuse d’augmenter la puissance de la tige dont s’était servi Saussure pour tirer l’électricité de l’air environnant, en terminant cette tige par une mèche enflammée. Le succès de cette expérience lui avait donné l’idée de paratonnerres à flammes, qui n’ont pas été expérimentés en grand.

Nous arrivons maintenant à la découverte de la pile voltaïque. On sait que l’origine de cette merveilleuse découverte se trouve dans la singulière observation, qui se présenta fortuitement à Galvani, des mouvements excités dans les membres d’une grenouille dépouillée par l’interposition d’un arc métallique entre deux parties différentes du tronc. Galvani avait cru remarquer que l’effet obtenu était plus considérable lorsque l’arc métallique réunissait un muscle et un nerf. Là-dessus il avait imaginé que les muscles et les nerfs, chargés d’électricité contraire, formaient comme les deux armatures d’une bouteille de Leyde et que l’arc jouait le rôle d’excitateur. Volta, en variant les expériences de plusieurs manières, en vint de son côté à se persuader que la commotion était produite par l’accouplement de deux métaux différents dans l’arc employé pour former le circuit, que c’était dans ce contact de deux métaux que se trouvait la source de l’électricité produite, et que la grenouille servait simplement de conducteur. Il est certain que le phénomène se présente avec des caractères plus tranchés dans les circonstances indiquées par Volta, mais il réussit toujours plus ou moins dans toutes les autres, c’est-à-dire quel que soit l’arc métallique, simple ou composé, et quelles que soient les parties de la grenouille que cet arc touche par ses extrémités. On ne savait, du reste, pas encore s’il se dégageait véritablement de l’électricité dans ces expériences. Les galvanistes, à la recherche de découvertes physiologiques, continuèrent de varier ces expériences et de les étendre aux débris de tous les animaux récemment morts ; quant à Volta, se retirant sur le terrain ferme de la pure physique, il marcha pas à pas à la découverte de sa pile. Il remarqua d’abord que, lorsqu’on place la langue entre deux rondelles métalliques de natures différentes, se touchant à l’extérieur, on ressent une saveur alcaline ou acide, selon l’ordre dans lequel les deux métaux sont placés. Cette remarque venait confirmer l’hypothèse qui s’était déjà présentée à lui ; pour la mettre hors de doute, il imagina de mettre en contact deux larges disques de cuivre et de zinc, tenus à l’aide de manches isolants, et, après les avoir séparés, de les présenter l’un après l’autre à l’électromètre condensateur. Les deux disques se trouvèrent sensiblement chargés d’électricités contraires, le zinc portant l’électricité positive et le cuivre l’électricité négative. En renouvelant plusieurs fois le contact, Volta parvint à charger une bouteille de Leyde. C’était déjà un grand pas de fait. Volta franchit le dernier en 1800, et ce qu’il y a de particulièrement remarquable dans cette longue série de recherches qu’il venait de parcourir, c’est qu’il avait été théoriquement amené de l’une à l’autre par d’habiles inductions fondées sur des analogies heureusement comprises. C’est, au reste, le caractère général de toutes les découvertes de Volta, qu’aucune n’est due au hasard, et que ses plus savantes combinaisons étaient faites pour ainsi dire à coup sûr.

La découverte de la pile, bientôt suivie de celle des nombreux effets physiques et chimiques qu’on en obtient, excita l’admiration de toute l’Europe. Bonaparte en appela l’heureux auteur à Paris en 1801, pour y répéter ses expériences devant l’Institut, et il voulut y assister lui-même. Il proposa de décerner une médaille en or à l’illustre physicien, ce qui fut voté par acclamation, ajouta 2,000 écus au nom du gouvernement et fonda un prix de 60,000 francs en faveur de celui qui ferait faire à la science un nouveau pas comparable à ceux qu’on devait à Franklin et à Volta ; il nomma en outre celui-ci comte et sénateur du royaume d’Italie. Depuis lors, Napoléon ne cessa de s’intéresser à l’illustre savant. « Je ne saurais consentir, dit-il en 1804, à la retraite de Volta ; si les fonctions de professeur le fatiguent, il faut les réduire. Qu’il n’ait, si l’on veut, qu’une leçon à faire par an ; mais l’université de Pavie serait frappée au cœur le jour où je permettrais qu’un nom aussi illustre disparût de la liste de ses membres. D’ailleurs, un bon général doit mourir au champ d’honneur. » Toutes les Académies d’Europe tinrent à honneur de s’associer l’heureux professeur de Pavie.

Postérieurement à 1800, Volta ne donna plus que deux mémoires, l’un en 1806, sur le Phénomène de la grêle, l’autre en 1817, sur la Périodicité des orages et le froid qui les accompagne. À partir de 1819, il cessa à peu près toute relation avec le monde savant. Une légère attaque d’apoplexie vint le surprendre en 1823 et donna de graves inquiétudes. Une fièvre l’enleva en quelques jours en 1827. Il s’était retiré depuis huit ans dans sa ville natale. Côme célébra ses obsèques avec la plus grande pompe et toute l’Italie s’associa au deuil du Milanais. Un beau monument lui a été élevé près du village de Camnago, dont sa famille était originaire.

« Intelligence forte et rapide, dit Arago, idées grandes et justes, caractère affectueux et sincère, telles étaient les qualités dominantes de Volta. L’ambition, la soif de l’or, l’esprit de rivalité ne dictèrent aucune de ses actions. Chez lui, l’amour de l’étude resta pur de toute alliance mondaine. »

Volta s’était marié en 1794, à l’âge de quarante-neuf ans, et il eut trois enfants. Il prenait un soin particulier de leur éducation et ressentit vivement la perte de l’un d’eux, qui donnait de grandes espérances et déjà montrait une aptitude singulière pour les mathématiques. Toutes ses découvertes ont été exposées par lui, avec non moins de clarté que de simplicité, dans des Lettres et des Mémoires, qu’avec une trop grande modestie il n’a pas même pensé à recueillir en une seule édition. C’est à un Toscan, amateur éclairé de ces études, le chevalier Vincent Antinori, que le public est redevable de la Collezione delle opere del cav. conte Alessandro Volta (1816, 5 vol. in-8o). En lisant ce recueil, on aime à voir avec quelle sagacité ce grand homme surprenait la nature dans ses opérations les plus secrètes, et on ne se lasse pas d’admirer les moyens et les appareils si simples et si ingénieux qu’il inventait pour s’assurer par l’expérience de ce que ses réflexions lui avaient fait entrevoir. Il faudrait, pour compléter l’œuvre d’Alexandre Volta, joindre aux cinq volumes donnés en 1816 par Vincent Antinori : un poëme latin sur les principaux phénomènes de la physique et de la chimie, la vocation de l’auteur aux recherches sur l’électricité y perce dans plus d’un endroit ; un petit poëme italien sur le voyage fait par Saussure au mont Blanc et plusieurs autres pièces de vers ; des observations et expériences sur les vapeurs, ouvrage resté inédit ; de nombreux articles de physique et de chimie, disséminés dans différents recueils périodiques d’Italie, de France, d’Angleterre et de Suisse.


VOLTA (Léopold-Camille), littérateur italien, né à Mantoue en 1751, mort en 1823. Reçu avocat dans sa ville natale, il se rendit à Vienne dans le but d’y compléter ses études et se lia dans cette ville avec différents personnages influents, grâce à la protection desquels l’impératrice Marie-Thérèse le nomma, en 1778, secrétaire de délégation et directeur de bibliothèque. Il revint plus tard dans sa patrie, où, jusqu’à sa mort, il s’adonna avec ardeur à la culture des lettres. On a de lui : Panégyrique en vers de Marie-Thérèse (Mantoue, 1774) ; Essai historique sur la typographie mantouane du XVe siècle (Venise, 1786) ; Journal de la littérature (Mantoue, 1793-1795, 5 vol.) ; Journal de la littérature étrangère (Mantoue, 1793, 2 vol.) ; Compendium chronologique et critique de l’histoire de Mantoue (Mantoue, 1807), etc.


VOLTAÏQUE adj. (vol-ta-i-ke). Physiq. Se dit de la pile électrique de Volta et en général de l’électricité développée par les piles : l’île voltaïque. Électricité voltaïque.


VOLTAÏQUEMENT adv. (vol-ta-i-ke-mun — rad. voltaïque). Physiq. Au moyen de la pile voltaïque : Électricité développée VOLTAÏQUEMENT.


VOLTAIRE s. m. (vol-tè-re — de l’écrivain de ce nom). Grand fauteuil dont le siège est bas et le dos assez élevé pour y appuyer la tête : S’asseoir dans un voltaire. En 1817, deux choses étaient populaires : le voltaire Touquet et la tabatière à la charte. (V. Hugo.)


VOLTAIRE (François-Marie Arouet de), l’un des plus puissants génies des temps modernes, né à Châtenay, près de Sceaux, ou plus vraisemblablement à Paris, le 20 février 1694, mort à Paris le 30 mai 1778. Il naquit si débile, qu’on ne put le baptiser que neuf mois après sa naissance. Son père, François Arouet, était trésorier de la chambre des comptes. Il eut pour parrain l’abbé de Châteauneuf, qui fut aussi son premier maître d’incrédulité. Au collège Louis-le-Grand, où il fut élevé, il étonna ses maîtres, les Pères Porée, Tournemine, Lejay, par la hardiesse et la vivacité de son esprit, à ce point que ce dernier pressentit en lui le futur coryphée du déisme. Quelques vers heureux qu’il fit à douze ans, ses reparties spirituelles charmèrent la fameuse Ninon de Lenclos, qui lui laissa par son testament 2,000 francs pour acheter des livres. L’abbé de Châteauneuf le conduisit de bonne heure dans les sociétés épicuriennes, et notamment au Temple, où de beaux esprits et quelques grands seigneurs spirituels professaient, avec les maximes de l’épicuréisme, l’indépendance philosophique et le scepticisme religieux. Mais le père du jeune Arouet, qui rêvait pour lui un avenir dans la magistrature, l’arracha à cette société brillante, pour l’envoyer en Hollande comme page du marquis de Châteauneuf. L’éclat d’une intrigue amoureuse le força bientôt à le faire revenir à Paris, et il le plaça quelque temps dans l’étude d’un procureur. Un séjour à la campagne, auprès d’un ami de sa famille, M. de Caumartin, vieillard qui lui racontait longuement les événements des règnes précédents, lui fournit, dit-on, la première idée de la Henriade et du Siècle de Louis XIV. Il revint à Paris comme ce prince venait de mourir. Faussement accusé d’une satire politique qui courut à ce moment, il fut jeté à la Biistille, où il fit l’esquisse de son épopée historique, qu’il nomma d’abord la Ligue, et composa en partie sa tragédie d’Œdipe. La découverte du véritable auteur de la satire le fit mettre en liberté par le régent, qui le dédommagea, suivant l’usage du temps, par une gratification, et qu’il remercia spirituellement de vouloir bien continuer à se charger de sa nourriture, mais en le priant de ne plus se charger à l’avenir de son logement. Ce fut alors qu’il changea son nom d’Arouet en celui de Voltaire, emprunté à un petit domaine de sa mère. Bientôt il fit représenter sa tragédie d’Œdipe (1718), qui fut accueillie avec un enthousiasme dont on n’avait pas d’exemple depuis Corneille et Racine. Dans cette tragédie, ses tendances philosophiques se révélaient déjà par des traits singulièrement hardis, tels que les deux fameux vers :

Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ;
Notre crédulité fait toute leur science.

Comme poète tragique, Voltaire ne s’est pas élevé à la hauteur de Corneille et de Racine ; mais il vient immédiatement après eux. Ses plans sont généralement bien conçus ; son style est pur, élégant et limpide, souvent frappant d’énergie, quelquefois prosaïque ; ses caractères sont bien peints, quoique un peu uniformes ; il trouve souvent des situations d’un grand effet et des passages isolés pleins de force et de passion ; mais il tient trop peu compte de la vérité locale, et ceux qui placent en première ligne l’illusion dramatique lui reprochent d’avoir surtout considéré le théâtre comme une tribune pour la diffusion de ses idées. À l’Œdipe succédèrent Artémire, Mariamne et le poème de la Ligue, audacieuse tentative du jeune poète pour enrichir lu langue française d’une épopée. Avec le succès vinrent les ennemis et les envieux, dont les attaques passionnées faillirent attirer sur lui les rigueurs ecclésiastiques. À ce moment, une aventure cruelle vint changer le cours de sa vie et dessiner plus nettement sa carrière. Le chevalier de Rohan, personnage décrié, qu’il avait contredit dans une discussion, eut la lâcheté de l’attirer dans un guet-apens et de le faire frapper par ses valets. Le poète provoqua en duel son indigne ennemi, qui le fit mettre pour six mois à la Bastille, puis bannir du France (1726). Réfugié en Angleterre, il dut à ce séjour la conscience de sa mission comme philosophe et comme penseur. Un nouvel horizon s’ouvrit devant ses yeux. L’étude de la langue, de l’histoire et de la littérature de l’Angleterre, le spectacle d’institutions libérales, la fréquentation des esprits les plus distingués donnèrent à ses pensées un cours nouveau, et après trois ans de séjour il put faire connaître à la France la métaphysique de Locke, le déisme de Bolingbroke, les théories scientifiques de Newton, la poésie de Shakspeare et d’Addison. C’est à cette époque que se rapportent les Lettre sur les Anglais, les tragédies de Brutus, la Mort de César, Zaïre, etc. Il vécut quelque temps tranquille à Paris ; mais à la mort d’Adrienne Lecouvreur, à qui la sépulture chrétienne avait été refusée, il publia une élégie qui lui fit craindre des poursuites. Il se réfugia secrètement à Rouen, où il fit imprimer l’Histoire de Charles XII et les Lettres philosophiques, qui furent brûlées