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ciété, l’école médicale, disons-nous, et l’école positiviste ont proposé une singulière théorie des causes occasionnelles de la folie, devenue pour ainsi dire épidémique en Occident. D’après cette théorie, l’état normal pour l’âme humaine se caractérise de plus en plus par l’abandon des idées théologiques. Par idées théologiques, on entend tout ce qui se rapporte au sens affectif et à l’imagination, et la folie consiste désormais dans la possession de ces idées. Il suit de là rigoureusement que les poètes et les mystiques sont des fous. Le génie l’est également, puisque le prestige qui le met en relief est précisément puisé à ces deux sources. La poésie, l’éloquence, l’inspiration, l’esprit métaphysique mènent donc à la folie. En d’autres termes, l’humanité est d’une nature progressive, et le progrès, consistant dans la prééminence de plus en plus complète de l’entendement, consiste aussi dans la destruction de plus en plus complète des idées religieuses et de celles qui ont les passions pour origine ou pour appui. Le docteur Morel a constaté l’existence de la mélancolie religieuse chez les épileptiques. « Je suis convaincu, dit-il, que la névrose épileptique influe sur les manifestations intellectuelles (manifestations religieuses) dont je parle. »

À propos du délire aigu sans lésions, le docteur Thulié cite le fait suivant : « Un jeune employé de la maison de Charenton est pris tout à coup, étant à son bureau, de manie aiguë. Il s’élance brusquement de sa chaise en criant et gesticulant. L’agitation est extrême ; il voit Dieu, « bonheur suprême, » etc. On ne peut le calmer ni le maintenir. On l’enferme sur-le-champ, et de ce jour commence un délire aigu dont les longues et douloureuses péripéties se terminent par la mort. » En allant aux informations, on découvrit que depuis quelque temps il fréquentait les églises et se livrait à des pratiques ascétiques. On cite encore l’exemple de M. Gagne : « Quand je passe devant la vapeur des chemins de fer, dit-il, l’esprit divin me fait surnaturellement lever mon chapeau et me dit que sans l’intervention céleste les locomotives ne marcheraient pas, faute de traction. » On conclut de là que la folie est un retour aux idées rétrogrades appelées théologiques. Auguste Comte a constaté ce fait sur lui-même. « Je me borne seulement, dit-il (Politique positive, t. III, p. 75), à consigner ici la précieuse observation, déjà citée dans mes cours publics, sur ma propre maladie cérébrale de 1826…. Le trimestre où l’influence médicale développa la maladie me fit graduellement descendre du positivisme jusqu’au fétichisme. » Il avait pris un confesseur et choisi Lamennais, aberration qui l’a beaucoup étonné depuis.

On a vu tout à l’heure qu’aux termes de cette théorie, le génie est littéralement de la folie. M. Lélut, membre de l’Académie des sciences, considéré comme un des plus forts aliénistes de notre temps, a publié un livre (Du démon de Socrate), pour établir que Socrate était atteint d’aliénation mentale. Il professe plus ouvertement cette doctrine pour Pascal (Amulette de Pascal, par le docteur Lélut, Paris, 1846). On connaît l’accident du pont de Neuilly (voir au mot Pascal). Il détermina l’évolution ascétique de Pascal. M. Lélut écrit à ce sujet : « Pascal avait alors trente ans. C’est l’âge de la force, l’âge où, encore plein d’espérance, l’homme qui a l’instinct des grandes choses continue avec l’ardeur de la jeunesse des travaux qu’achèvera sa maturité ; l’âge où il se choisit une compagne, dont le cœur partage avec le sien les agitations de la gloire et la paix du foyer domestique. Cet âge, il ne devait en connaître ni les réalités ni les promesses. Ebranlé dans les profondeurs de son être par douze années de continuelles souffrances, foudroyé par sa terreur du pont de Neuilly, rassuré peut-être, mais jeté à jamais dans les voies d’une religion mystique par l’extase qui la suivit, docile comme un enfant aux exhortations et aux représailles de sa sœur, plus malade par l’effet de sa piété, plus pieux par l’effet de sa maladie ; travaux et triomphes de la science, projets d’établissement et de mariage, il renonça à tout, oublia tout, et comme il l’a écrit lui-même, ne fit plus que se livrer à de petites pratiques, que prendre de l’eau bénite, faire dire-des messes pour se briser et s’abêtir. »

Il est difficile de nier la folie de ces petites pratiques, et cet abêtissement, bien que Pascal ait écrit les Provinciales, que son style ait fixé la langue française, que ses Pensées doivent rester, auprès d’une longue postérité, la mesure la plus réelle du génie de Pascal.

Mais on a voulu de Descartes lui-même faire un halluciné ! On s’est évertué avec plus de raison à démontrer la folie de Jean-Jacques Rousseau. « La réforme complète de ses habitudes, son renoncement au monde, dit un docteur positiviste, et son goût pour la solitude, qui marquent le commencement de son délire des persécutions, coïncident d’une manière non douteuse et non arbitraire avec son retour définitif au déisme intolérant et rétrograde consigné dans la Profession de foi du vicaire savoyard et du Contrat social, et avec sa séparation radicale d’avec les philosophes dont auparavant il subissait l’influence. » Il n’y a point à discuter de pareilles choses ; un lecteur de bonne foi ne peut nier la monomanie de Jean-Jacques.

Cette exagération, qui consiste à nommer folie tout ce qui sort de l’intellectuel pur, est une réaction contre une exagération opposée de l’ancienne école théologique, qui proscrivait systématiquement sous le même nom de folies les manifestations scientifiques, et ne tendait à rien moins qu’à faire de l’idiotie, sous le nom d’enfance spirituelle, l’état normal de la société.

Carré de Montgeron, apologiste des convulsionnaires du xviiie siècle, décrit ainsi cet état d’enfance spirituelle : « Il y a un état surnaturel d’enfance où plusieurs convulsionnaires, même d’un âge très-mûr et quelques-uns d’un caractère très-grave et très-sérieux, se trouvent quelquefois… Que cet état soit surnaturel, au moins chez le plus grand nombre des convulsionnaires, c’est ce qu’on ne peut révoquer en doute, attendu que, dans plusieurs, il est marqué par des traits que l’artifice ne pourrait jamais parfaitement imiter. On voit un air enfantin se répandre tout à coup sur leur visage, dans leurs gestes, dans le ton de leur voix, dans l’attitude de leur corps, dans toute leur façon d’agir, et quoique l’instinct de leurs convulsions leur fasse faire alors des raisonnements à la manière des enfants, car rapport aux termes dont il se servent et à la façon simple, innocente et timide avec laquelle ils énoncent leurs pensées, néanmoins cet instinct leur fait souvent dire bonnement des vérités très-fortes et très-instructives sur tout ce qui se passe aujourd’hui dans l’Église… Ce phénomène, aujourd’hui si méprisé par l’orgueil humain, a déjà paru dans l’Église. On trouve, dans la vie de plusieurs mystiques respectables, que Dieu les a fait tomber surnaturellement dans des états d’enfance tout pareils à ceux des convulsionnaires d’à présent. » Les moines mendiants et les capucins en particulier ont été créés pour cette destination.

Nous avons dit ailleurs comment on prétend guérir de la folie. Au fond, la médecine et la pharmacie n’en savent rien. Étrangères l’une et l’autre à la connaissance et au traitement du système nerveux, leur impuissance s’est traduite par des insuccès si constants, qu’on a dû cesser de leur demander un soulagement quelconque. On ne possède donc que des moyens moraux. Mais cette médication répugne, il faut en convenir, à l’esprit scientifique du temps, et il n’y a guère de succès à attendre de ce côté.

Le médecin n’est pas, sur ce point, d’accord avec le philosophe.

— Mœurs et coût. On donnait au siècle dernier le nom de folie à un certain nombre d’asiles plus ou moins mystérieux, où l’on croyait avoir fixé le plaisir pour en avoir banni les bienséances, et dans lesquels on allait se cacher, comme la Galatée de Virgile, en prenant ses précautions pour être vu. On avait d’abord appelé ces lieux de plaisance des petites maisons ; c’était sous la Régence. Plus tard, et avec plus de raison, on les baptisa folies, soit parce qu’ils se prêtaient à pas mal de folies, soit parce qu’on avait consacré des sommes folles à leur construction ou à leur ameublement. La Folie Méricourt, la Folie Saint-James, la Folie Genlis, la Folie de Chartres (Monceaux), la Folie Richelieu, la Folie Beaujon sont restées célèbres. Le plus souvent une folie n’était qu’une habitation de plaisance, ce que nous appellerions aujourd’hui une maison de campagne. Telle était la Folie Regnault, sur l’emplacement de laquelle ont été bâties les prisons des Jeunes détenus et de la Roquette. Quel en était le propriétaire ? Un simple épicier. On s’étonnera de voir un épicier donner dans les folies ; mais il faut dire que l’épicier maître du temps jadis était un personnage important à Paris. La corporation des épiciers-apothicaires formait le deuxième des six corps de ville, fournissant des échevins et même des prévôts à Paris. Les épiciers portaient le dais sur la tête du roi, ils avaient des armoiries, étaient les gardes du poids le roi, etc. En voilà plus qu’il n’en fallait pour trancher de l’homme important et s’offrir des folies.

Sous le règne de Louis XIV, il n’y avait pas encore de petites maisons appropriées et n’appartenant qu’à un seul maître. Alors on allait au cabaret, dans des guinguettes écartées du centre, sur les bords de la rivière le plus souvent : telles que celles du port à l’Anglais, du moulin de Javelle, du Gros-Caillou, de Bercy, des Bons-Hommes, de Chaillot, de Passy, etc. Les endroits les plus populaires, mis en vogue, d’ailleurs, par une excellente cuisine ou des vins de qualité, suffisaient à des rendez-vous où l’amour allait vite en besogne. Parfois un homme riche, un grand seigneur, louait, dans les lieux écartés, à la Ville-l’Evèque, à la Grange-Batelière ou dans les faubourgs, un marais garni de tonnelles, de berceaux, de charmilles. On meublait, par bas, deux ou trois pièces, et cela uniquement pour la durée ordinaire de ces passions qui rêvent l’éternité pendant six mois. Les lieux de rendez-vous sentaient l’idylle et semblaient calqués sur les pastorales de Fontenelle. Vint la Régence. Le duc d’Orléans donna à la haute noblesse, à la riche finance, une impulsion sans bornes vers le plaisir. Les soupers étaient alors les repas à la mode ; ceux du régent, au Palais-Royal, étaient en grande réputation ; mais il y régnait encore une sorte d’étiquette qui en excluait la licence dont le prince, d’ailleurs très-aimable, voulait assaisonner ses amusements. Pour se débarrasser d’un reste de contrainte, il substitua aux grands soupers du Palais-Royal les petits soupers du Luxembourg, dont sa fille, la duchesse de Berry, faisait un peu trop gaiement les honneurs. Cette retraite au Luxembourg, dont on ne tarda pas à connaître tous les avantages, inspira, croit-on, la première idée des petites maisons, lesquelles donnèrent lieu à un demi-négligé du soir, dont la coiffure obligée était, pour les hommes, un chapeau de Jacquet, et, pour les femmes (par dérision sans doute), une toque à la Minerve. D’ailleurs on avait fini par trouver ruineux la location, l’ameublement trop fréquent de ces sortes d’endroits dont nous parlions tout à l’heure, qui devaient tour à tour porter le reflet de l’esprit des femmes qui s’y laissaient entraîner. On tombait d’accord qu’il serait beaucoup plus simple de sacrifier d’abord 2, 3, 4 ou 500,000 écus pour s’assurer la propriété d’un lieu qu’on louait, haut la main, 4 à 500 livres tournois du propriétaire, sauf à y ajouter 3 ou 4,000 livres de meubles. Cette économie, si bien entendue, passa dans la mode, et le prétexte trouvé servit promptement de prétexte à une prodigalité insensée. La variété des décors, tour à tour érotiques ou gracieux, suivant l’occasion et les développements du caprice, fut l’affaire des architectes, des peintres, des statuaires et même de machinistes habiles. On connaissait les merveilles de la cour napolitaine sur ce point. On voulut les imiter. Le comte d’Evreux, le duc de Richelieu, le prince de Soubise, M. d’Argenson, le comte de Nocé et une douzaine d’autres furent les premiers à se donner une petite maison. Plusieurs dames de haut rang les imitèrent, et, en ceci encore, le branle partit des d’Orléans ; car la duchesse d’Orléans (née Bourbon-Conti, mère de Philippe-Égalité), s’imagina, s’il faut en croii’e un rapport de police consigné aux archives, « qu’elle devait avoir à sa disposition un parc, où elle trouverait, à l’heure dite, des hommes toujours disposés à satisfaire les désirs insatiables de Son Alteste sérénissime. » (Mémoires tirés des archives de la police, par Peuchet),

Cette mode fastueuse et scandaleuse se répandit avec une rapidité regrettable et fit tourner toutes les têtes. À la fin du règne de Louis XV, on multiplia si bien ces retraites, consacrées à la dépravation, que tout seigneur, marié ou garçon, avait la sienne. Le rapport de police cité plus haut donne la description exacte de celle que construisit à grands frais le baron de La Haye, et qui jouissait, « chez les dames, d’une réputation européenne. » Rien ne montre mieux à quel état d’abaissement moral et de honte les nobles et les riches en étaient arrivés à cette époque voisine de la Révolution. Le soin que lespion de M. le lieutenant de police apporte aux moindres détails donne à son curieux travail une étendue qui ne nous permet pas de le rapporter tout entier ; mais nous ne pouvons résister au désir d’en faire passer sous les yeux du lecteurs une analyse qui gardera encore son côté instructif et piquant : Ab uno disce omnes.

« La petite maison du baron de La Haye était située dans la rue Plumet, et ses jardins s’ouvraient sur le boulevard des Invalides. Des persiennes vertes couvraient la grille de ce côté. Ce qui n’empêcha pas les limiers de la police de rendre compte d’une orgie mythologique jouée, au naturel, dans le bassin de marbre du lieu, entre neuf belles actrices, figurant les Muses, et un jeune duc vêtu en Apollon du Belvédère. La façade extérieure, par la rue Plumet, négligée à dessein, semblait celle d’une vieille habitation prête à crouler, une habitation de la dernière classe. Après avoir poussé une porte de bois vermoulu, on se trouvait en présence d’une muraille en terre et toute délabrée. Mais ce misérable obstacle une fois franchi, on apercevait une charmille vivace, taillée en colonnes et en portiques, où étaient placés alternativement trois statues et deux vases de marbre. À droite, c’était une fontaine élégante ; sur un massif, deux naïades caressant une chimère ; d’un côté se voyait un groupe, formé d’une nymphe et d’un satyre ; de l’autre, un sylphe et une sylphide. Le tout était à l’abri.sous une colonnade de marbre et appuyé contre un mur de marbre blanc, chargé de délicieux bas-reliefs de Clodion. En face s’élevait le corps de logis principal, simple façade composée d’un seul étage, exhaussé de cinq pieds au-dessus du sol. On y montait par une rampe double et circulaire. Au milieu, et presque à ras de terre, était le fameux groupe de Laocoon en bronze. Les quatre piédestaux de la rampe supportaient deux lions et deux sphinx. Quatre énormes vases de bronze, garnis de fleurs, achevaient de donner un aspect calme à ce lieu. La façade du jardin présentait un portique soutenu par six colonnes ioniques ; le fronton, sculpté par Pigalle, représentait la naissance de Vénus. La première antichambre était pavée d’une mosaïque exécutée en senliola italienne, représentant un riche trophée d’armes de l’Amour, entouré de groupes de cœurs de toutes dimensions, par allusion à une poésie de Boufflers intitulée les Cœurs. Sur les murs, en marbre vert, se trouvaient encore des trophées amoureux. La seconde antichambre, celle des grisons favoris, des matrones qui venaient offrir du fruit nouveau, des brocanteurs, fournisseurs privilégiés, des gens enfin qui ne devaient pas franchir les dernières limites du sanctuaire, était toute blanche, avec des filets d’or, des arabesques or et bleu, représentant, en bas-reliefs, les sujets les plus gais du Roland furieux. À droite de cette pièce, était la salle à manger d’été. L’ensemble général représentait un bosquet de marronniers, avec leurs aigrettes de fleurs et leurs vastes éventails de verdure. Le jour y tombait en pluie d’or par un vitrage supérieur, et aidait au prestige de cette verdure artificielle. Les rameaux entremêlés formaient la voûte où tombait, au travers de quelques éclaircies, un jour doux et agréable ; oiseaux au riche plumage, fleurs, buissons de roses, guirlandes de lierres, charmilles de jasmin, de chèvrefeuille multipliés à l’infini par des glaces, offraient un tableau enchanteur. Vers un angle, un rocher bizarre, dont la forme servait de buffet, pouvait cacher des musiciens. D’un côté opposé, une coquille de jaune antique, posée sur un riche piédestal, était garnie d’un gazon semé de violettes, de roses pompons, et au centre s’élevait un jet d’eau, tandis que d’autres autour de lui retombaient en gerbes. Chaînes de fleurs, écharpes de gaze d’or et d’argent suspendaient çà et là des lustres enrichis de cristaux. À l’instant où les convives se mettaient à table, un mécanisme ingénieux faisait fendre le tronc de chaque arbre, dont il sortait à demi, et dans une nudité complète, un satyre et une nymphe, tenant d’une main un des attributs de Priape et de l’autre une girandole d’or. La lueur du jour disparaissait alors, par l’interposition d’un voile, et la verdure recevait un lustre piquant de la clarté soudaine des girandoles. La salle à manger d’hiver présentait, sur un mur de marbre blanc, des colonnes bleues, ayant les bases et les piédestaux dorés ; alternativement, il y avait une grande glace, devant laquelle une somptueuse console soutenait des vases d’argent et de vermeil, précieusement ciselés, ou une cascade à sept repos, qui, commençant au sommet de la niche, se perdait dans un bassin où se jouaient des poissons. À l’une des extrémités, des gradins couverts d’une mosaïque imitant un tapis de perles et composée de marbre, de porphyre, de jaspe, d’agate, formait le buffet. À l’autre bout, un corps de belles orgues, imitées au naturel, séparait aussi les musiciens de la compagnie. Doyen avait peint à la voûte les Amours des dieux, et s’était bien gardé de jeter un voile chaste sur les lubricités de ces immortels, dont la mêlée offrait un spectacle à faire bouillir les sens. Le plancher, en bois des Indes, était incrusté de nacre, de perles, d’ivoire, d’ébène. Les sièges étaient des fauteuils dont des Priapes formaient les bras, les soubassements et les dessins ; leur arrangement était tel qu’au premier aspect on ne les distinguait pas ; mais, après un léger examen, on ne s’asseyait là que « troublé par la honte et déjà tremblant de désirs. » Des servantes nombreuses, des jeux mécaniques habilement distribués, rendaient inutiles la présence de valets, curieux et indiscrets. En traversant les salles à manger d’hiver et d’été, on arrivait à une salle de concert magnifique, décorée d’un ordre ionique à pilastres cannelés et dorés ; des glaces remplissaient les intervalles. La cheminée, en portor de la plus grande beauté, représentant un portique soutenu sur huit colonnes doriques, était ornée de deux figures en bronze vert sur les côtés, drapées à l’antique, soutenues sur des piédestaux de bleu turquin, enrichis de bronze d’or, et portant sur leur tête des corbeilles de fleurs dorées, d’où partaient des girandoles disposées pour recevoir des bougies. Un superbe forte-piano organisé, tout doré, peint en dedans et en dehors par Watteau, faisait face à la cheminée et était posé contre une glace sur laquelle Boucher avait peint Vénus accompagnée de ses déesses. Les vantaux des côtés de ce salon étaient masqués par des niches où s’élevaient des statues d’Orphée et d’Apollon, dues à Coustou et à Pigalle ; de plafond, peint à fresque par Julien de Toulon, représentait l’Olympe assistant à un concert donné par les Muses. Meubles, portières, rideaux, ottomanes, fauteuils, cabriolets, etc., étaient en velours vert, garnis de galons et de franges d’or. On distinguait deux salons : le grand salon et le salon des Grâces, où l’on ne devait être que quatre. Le grand salon, donnant sur les jardins, offrait un mélange de colonnes corinthiennes, toutes d’or, ressortant sur un fond de marbre blanc. Nous passerons sur les décorations sculpturales. Dans trente-deux compartiments, divisés en caissons se voyaient autant de scènes galantes fournies par l’antiquité historique ou fabuleuse. Les fameuses compositions inspirées à Jules Romain par les sonnets de l’Arétin avaient fourni leurs trente-deux variétés de compositions érotiques à ces débauches de l’art, qui, dans sa fougue, cette fois, ne gardait plus de mesure.

L’ameublement dépassait en richesse tout ce que l’on peut rêver. L’éclat des feux, si favorable à la carnation des femmes, devait les inonder du plus magique reflet, en les invitant à l’érudition pratique des scènes diverses qui donnaient si complètement autour d’elles la théorie du plaisir.

Parlerons-nous de la chambre à coucher ?