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à l’impression les derniers volumes de son précédent recueil. Tout d’un coup, on vit la biographie envahir les pages de son second répertoire. Il n’y eut plus proportion, équilibre. Ses motifs ont, certes, quelque chose de spécieux. « La bibliographie n’est plus, comme au xviiie siècle, la description sèche du composé des feuillets d’un livre, de sa condition, à laquelle on ajoutait sa valeur vénale. On indiquait aussi quelquefois les raisons qui devaient faire préférer l’édition d’un livre à une autre. Cette science, si science il y a, a dû suivre la marche progressive de toutes les autres. La bibliographie, surtout la bibliographie nationale, telle que plusieurs personnes l’ont faite, est aujourd’hui un travail mixte qui tient de la bibliographie traditionnelle et de la biographie : elle est devenue le canevas de l’histoire littéraire d’un pays ; on veut au xixe siècle plus que des titres de livres ; on veut des renseignements sur les auteurs de ces livres ; on veut savoir où ils sont nés, ce qu’ils sont ou ce qu’ils ont été. On aime aussi à trouver exposée l’indication des apologies et des réfutations qui existent de ces mêmes livres ; celle des notices historiques, des éloges, voire même des pamphlets dont les auteurs dont on parle ont été le sujet. Il faut à un ouvrage de bibliographie un peu de piquant pour diminuer la sécheresse naturelle de ce genre de publication ; de la critique, des révélations, des anecdotes littéraires, etc. C’est ainsi qu’on doit traiter aujourd’hui de la bibliographie pour qu’elle puisse offrir une utilité réelle ; aussi trouvera-t-on dans le nouveau livre que j’offre au public beaucoup de particularités sur les productions littéraires de ce siècle et sur leurs auteurs. »

En présence de ces assertions, diverses objections s’élèvent. Elles se réduisent à un dilemme : ou la bibliographie est une science, ou bien elle n’en est pas une. Dans ce dernier cas, elle ne peut être que l’art d’inventorier, de classer, de cataloguer les volumes d’une bibliothèque, ou les livres utiles à telle ou telle profession. L’ordre, la clarté, la précision suffisent à un catalogue, qui sera toujours admirablement remplacé par un vieil employé de bibliothèque, si on ne lui interdit pas, comme à la Bibliothèque nationale, la complaisance envers le public. Si, au contraire, la bibliographie est une science, pourrait-elle être autre chose que la connaissance des livres ? En ce cas, cette connaissance se borne-t-elle à savoir le nombre et la date des diverses éditions d’un ouvrage, le nombre, le format et le prix des volumes ? Doit-elle embrasser la biographie des auteurs ? Ne devrait-elle pas, de préférence, juger chaque ouvrage mentionné, en deux mots ou en dix lignes ? En introduisant la biographie des écrivains dans un catalogue, le bibliologue fait tout simplement le travail des auteurs de dictionnaires historiques, dont les renseignements seront plus complets ; en s’abstenant de jugements critiques, appréciations qui supposent des études de tout ordre, du goût et des principes fixes, le bibliologue détruit lui-même la science qu’il veut fonder. Mais, répondront les collectionneurs, il nous indique les plus belles et les meilleures éditions. On peut répliquer : la meilleure et la plus belle édition d’un livre est l’édition la plus commode et la moins coûteuse, toutes choses égales d’ailleurs. Un livre doit être lu et aimé pour lui-même, et non pour son antiquité, son papier ou sa reliure. La presse moderne a donné les meilleures éditions, c’est-à-dire les moins coûteuses. La librairie anglaise, par exemple, dont les prix étaient naguère fabuleux, livre aujourd hui pour douze sous un roman de Walter Scott, et moyennant un schilling un Shakspeare complet en un volume, le tout fort bien imprimé. Il faut conclure de tout ceci que l’infatigable Quérard a dépensé ses peines et son savoir à composer une œuvre diffuse, indigeste, peu utile au progrès de la science et des lettres. Tout ce qui mérite de vivre et de survivre est connu. Prétendre étiqueter et sauver les innombrables productions de l’esprit sain ou malsain, de la raison et de la folie, du talent et de la présomption, c’est vouloir reconstruire une nécropole égyptienne où les livres seraient autant de momies.

France (Lettres sur l’histoire de), par Augustin Thierry (1 vol., 1827 et 1828). Cet ouvrage est l’un de ceux auxquels l’auteur a fait subir le plus de changements. La première série de ces Lettres avait paru, en 1320. dans le Courrier Français. Ang. Thierry, qui avait renouvelé son éducation historique, les refit, ou, pour mieux dire, les retravailla pour le fond et pour la forme, et y ajouta quinze nouvelles Lettres dans lesquelles il traite avec plus de développement deux questions fondamentales qu’il n’avait fait qu’effleurer : celle de la formation de la nation française, et celle de la révolution communale. C’est de l’ouvrage définitif que nous devons entretenir le lecteur, et non de ce que l’auteur appelle sas travaux de jeunesse. Cependant il convient d’exposer au préalable le but qu’il s’était d’abord proposé.

Préoccupé du vif désir de contribuer pour sa part au triomphe des opinions constitutionnelles, Aug. Thierry se mit à chercher dans les livres d’histoire des preuves et des arguments à l’appui de ses croyances politiques. Bientôt il étudia les faits et les personnages pour eux-mêmes, et il s’aperçut que l’histoire de France, sous les premières races, était entièrement à écrire. Alors n’avaient point’encore paru les travaux de Sismondi, de M. Guizot, de M. de Barante. Il fallait renouveler la conviction publique faussée par les livres modernes, surtout par les ouvrages de Velly, de Mably, d’Anquetil. Thierry osa attaquer de front la science erronée, et remplacer par un peu de vrai les niaiseries de l’enseignement traditionnel et les préjugés du monde.

La plupart des Lettres d’Aug. Thierry sont des dissertations entremêlées de récits et de fragments des historiens originaux. « Tel événement particulier dont le caractère fut longtemps méconnu, présenté sous son véritable aspect, peut éclairer d’un jour nouveau l’histoire de plusieurs siècles. Aussi ai-je préféré, dit l’auteur, ce genre de preuve à tout autre, lorsqu’il m’a été possible d’y recourir. Dans les matières historiques, la méthode d’exposition est toujours la plus sûre, et ce n’est pas sans danger pour la vérité qu’on y introduit les subtilités de l’argumentation logique. C’est pour me conformer à ce principe que j’ai insisté avec tant de détails sur l’histoire politique de quelques villes de France. Je voulais mettre en évidence le caractère démocratique de l’établissement des communes, et j’ai pensé que j’y réussirais mieux en quittant la dissertation pour le récit, en m’effaçant moi-même et en laissant parler les faits. » Ainsi, l’auteur collationnait la version moderne de notre histoire avec les monuments et les récits originaux, et cela dans le but de démontrer la nécessité d’une réforme historique, que des hommes de savoir et de talent devaient bientôt réaliser.

Les dix Lettres anciennement publiées dans le Courrier français, lettres qui furent peu goûtées du public en raison même de leur solidité, eurent cependant pour résultat de soumettre à un examen sévère plusieurs ouvrages sur l’histoire de France regardés alors comme classiques. Los quinze dernières Lettres, traitant de nombreuses questions historiques, se rapportent toutes, comme nous l’avons dit, à deux chefs principaux, la formation de la nation française et la révolution communale. Dans cette série, l’auteur a cherché à déterminer le point précis où l’histoire de France succède à l’histoire des rois francs, et à marquer de ses véritables traits le plus grand mouvement social qui ait eu lieu depuis l’établissement du christianisme jusqu’à la Révolution française. On suit pas à pas la démonstration logique que l’auteur entreprend. Après avoir insisté sur le besoin d’une Histoire de France, et indiqué le principal défaut des ouvrages alors accrédités (c’est nommer les compilations de Mézeray, Daniel, Velly et Anquetil, historiens qui ont suivi une fausse méthode et qui ont donné une fausse couleur aux premiers temps de l'Histoire de France), il dessine à grands traits la méthode et le plan d’une histoire véritable. Il rejette cette fausse unité des premiers temps, imaginée par les historiens pour la commodité du récit ; l’histoire est dans le récit des luttes des diverses races qui se sont disputé le territoire de la Gaule ; lutte des Barbares contre la population gallo-romaine, puis des Barbares, Francs, Burgundes, Visigoths, entre eux ; puis des Francs neustriens contre les Francs austrasiens, second ban de l’invasion germanique. L’unité ne résulte point de ces luttes, non plus que des conquêtes de Karl le Grand ; elle est l’œuvre d’une seconde conquête, la conquête politique, qui se prolonge du xiiie siècle au xviie siècle. Toutes ces idées, exposées dans les dix premières lettres, joignaient alors au mérite de la vérité celui d’être neuves et originales. Dans les dernières lettres Augustin Thierry a voulu donner un exemple de la façon dont il entendait l’histoire, et il semble préluder aux Récits mérovingiens. Il cherche dans les vieilles chroniques de véritables romans, semblables à ceux de Walter Scott, qu’à cette époque toute l’Europe lisait. « À chaque nouvelle apparition d’un roman de Walter Scott, j’entends regretter que les moeurs de la vieille France ne soient présentées par personne sous un jour aussi pittoresque ; j’entends même blâmer de ce défaut notre histoire trop terne à ce qu’on imagine, et dont l’uniformité monotone n’offre point assez de situations diverses et de caractères originaux. Cette accusation est injuste : l’histoire de France ne manque pas au talent des poëtes et des romanciers. » Il le prouve en faisant revivre dans ces beaux récits où il excelle les mœurs barbares du ixe siècle (Episode de l’histoire de Bretagne, XIe lettre), ou l’existence agitée des premières communes (Histoire de ta commune de Laon, de la commune de Vézelay, XVIII, XXV). La conclusion, comme le début, répond aux préoccupations politiques de l’auteur : « Regardons avec admiration à travers quels obstacles la pensée de la liberté s’est fait jour pour arriver jusqu’à nous ; reconnaissons qu’elle a à jamais cessé de faire naître, comme de nos jours, de grandes joies et de profonds regrets, et que cette conviction nous aide à supporter en hommes de cœur les épreuves qui nous sont réservées. »

L’apparition des Lettres sur l’histoire de France produisit une sensation profonde dans le monde des savants, et tout d’abord la nouvelle école historique fut fondée, avec le concours des Naudet, des Desmichels, des Michelet et des Guizot. Selon Chateaubriand, « les Lettres de M. Thierry sur l’Histoire de France, ouvrage excellent, rendent à un temps défiguré par notre ancienne école son véritable caractère. M. Thierry, comme tous les hommes doués de conscience, d’un talent vrai et progressif, a corrigé ce qui lui a paru douteux dans les premières éditions de sa belle et savante Histoire de la conquête de l’Angleterre et dans ses Lettres sur l’histoire de France. » Il faut surtout voir dans Augustin Thierry un historien artiste, qui pousse parfois un peu loin la passion des détails ; en revanche, il élucide une foule de points controversés ou tout à fait obscurs, et, par ses aperçus ingénieux, il ouvre carrière aux travaux de ses successeurs. Les Lettres sur l’histoire de France ont été souvent réimprimées ; leur succès est encore aussi grand qu’au premier jour.

France (La), par Henri Heine, 1832, ouvrage refondu et publié après la mort de l’auteur en 1857. Ce volume se compose d’un recueil de lettres politiques adressées, par H. Heine à la Gazette universelle d’Augsbourg en 1832, de quelques lettres additionnelles écrites, en 1838, à M. A. Lewald, directeur de la Revue théâtrale, à Stuttgart, d’un Salon sur l’exposition de 1831. Il y a dans cet ouvrage des pages très-éloquentes, mais les portraits des hommes politiques, et surtout celui du roi Louis-Philippe, le Napoléon de la paix, sont généralement peu flattés ; sous le rapport du style, c’est l’ouvrage le plus fini de H. Heine, surtout dans l’édition qu’il préparait lorsque la mort le surprit.

Henri Heine est libéral ; républicain même, et son cœur saigne en présence des événements politiques qui attristèrent la France en 1832 ; le canon de Saint-Merry retentit douloureusement dans son âme, et tous ses sentiments sont pour les vaincus. Quant au pouvoir, voici comme il le jugeait : « Louis-Philippe est encore aujourd’hui d’avis qu’il est fort. Voyez comme nous sommes forts ! est aux Tuileries le refrain de tous les discours. Comme un malade parle toujours de santé et ne peut assez tirer vanité de ce qu’il digère bien, de ce qu’il peut se tenir sans spasme sur ses jambes et respirer à pleine poitrine, ces gens-là ne tarissent pas sur la force et l’énergie qu’ils ont déjà déployées dans les diverses mesures comminatoires, et qu’ils peuvent déployer encore. Arrivent ensuite les diplomates qui viennent chaque jour au château et leur tâtent le pouls, et leur font tirer la langue, et observent soigneusement les digestions, puis envoient à leur cour le bulletin de santé politique. Aussi les ministres étrangers ne cessent-ils de faire également la question : Louis-Philippe est-il fort ou faible ? Dans le premier cas, leurs maîtres peuvent tranquillement résoudre et exécuter chez eux telle mesure qu’il leur plaira ; dans le second, où le renversement du gouvernement français et la guerre seraient à craindre, ils ne peuvent entreprendre dans leurs Etats rien de bien sévère. »

La légende napoléonienne n’obtient pas plus de grâce aux yeux d’Henri Heine, bien qu’on sente que son âme généreuse n’a pas été sans battre au récit de l’épopée impériale : « Nous ne voyons dans le martyre de Napoléon à Sainte-Hélène aucune expiation dans le sens populaire. L’empereur y porta la peine de son erreur la plus fatale, de l’infidélité dont il se rendit coupable envers la Révolution, sa mère. L’histoire avait montré depuis longtemps que l’union entre le fils de la Révolution et la fille du passé ne pouvait tourner à bien, et maintenant nous voyons que le fruit unique de ce mariage n’avait aucun principe de vie et qu’il est mort déplorablement. (Le duc de Reichstadt venait de mourir.) Quant à l’héritage du défunt, les avis sont fort partagés. Les amis de Louis-Philippe pensent que les bonapartistes, désormais orphelins, vont se rattacher à eux. Je doute cependant que les hommes de guerre et de gloire passent si promptement au pacifique juste-milieu. Les carlistes croient que les bonapartistes vont maintenant plier le genou devant Henri V : je ne sais vraiment ce que je dois le plus admirer chez ces hommes, de leur folie ou de leur présomption. Les républicains sembleraient encore plus que tous les autres en état d’attirer à eux les bonapartistes ; mais, s’il a jadis été facile de faire des sans-culottes les plus mal peignés les impérialistes les plus brillamment huppés, il peut être aujourd hui difficile d’opérer la métamorphose contraire.

On regrette que les saintes reliques, l’épée de l’empereur, le manteau de Marengo, le chapeau historique, etc., etc., qui, conformément au testament de Sainte-Hélène, ont été remis au jeune Reichstadt, ne reviennent pas à la France. Chaque parti en France pourrait bien utiliser un morceau de cette succession. Vraiment, si j’en pouvais disposer, je les répartirais ainsi : aux républicains l’épèe de l’empereur, parce que ceux-ci sont encore les seuls qui sauraient la mettre à profit. Je donnerais à ces messieurs du juste-milieu le manteau de Marengo ; car, dans le fait, un semblable manteau viendrait bien à propos pour couvrir leur humble nudité. Pour les carlistes je réserverais le tricorne impérial, quoiqu’il n’aille, à la vérité, pas très-bien à de pareilles têtes, mais il pourra leur être d’un bon secours quand les coups pleuvront de nouveau sur leurs chefs ; aussi j’ajouterais même à ce don celui des bottes de l’empereur, qui leur faciliteraient les enjambées de sept lieues quand il leur faudra bientôt déguerpir. Quant au bâton qu’avait l’empereur le jour de la bataille d’Iéna, je doute qu’il se trouve dans la défroque du duc de Reichstadt, et je crois que les Français l’ont encore entre les mains. »

Décidément Henri Heine était plus Français qu’Allemand !

France (Formation territoriale et politique de la) depuis la fin du xie siècle jusqu’à la fin du xve, mémoire de M. Mignet, lu à l’Académie des sciences morales et politiques dans les séances des 21 et 28 juillet et août 1838. Cet essai est un de ces beaux mémoires qui ont si justement fait la réputation de M. Mignet. L’éminent historien, chez qui la pensée philosophique s’appuie sur une science précise, a fait ressortir d’une manière saisissante, avec un style sobre et sévère, parfois élevé, l’idée générale qu’il a si bien indiquée dans le titre même de son mémoire. Il a voulu retracer la marche, indiquer les phases et montrer les résultats « de cette Révolution lente qui a fait passer la France de la forme féodale à la forme monarchique, qui a produit la réunion des provinces, le rapprochement des peuples, la communauté des lois et la centralisation de l’autorité. » Il nous montre les progrès successifs qui ont constitué à la fois la royauté et le royaume. Il nous fait voir, à la fin du xie siècle, la France divisée en puissances féodales, plus fortes que leur suzerain le roi de France, et, à la fin du xve siècle, la France formant une seule nation, obéissant à un même souverain. La société féodale, si puissante sous les premiers capétiens, a complètement disparu sous Louis XI. Louis VI (l’Eveillé, le Gros), le premier, a essayé d’abolir l’ordre féodal d’abord dans son fief, puis dans le royaume. Philippe-Auguste, par ses importantes acquisitions, contribua surtout à former le royaume ; la formation territoriale de la France est particulièrement son œuvre, comme la formation politique est l’œuvre de ses successeurs saint Louis et Philippe le Bel. Ce grand travail de formation fut suspendu par des réactions féodales, et principalement par la longue lutte contre l’Angleterre ; mais il ne fut jamais complètement arrêté, et Charles V et Charles VII, malgré la guerre, malgré les troubles intérieurs, continuèrent à fonder des institutions durables. Il faut suivre avec M. Mignet cette longue révolution, cette politique si bien observée par nos grands rois. M. Mignet a consacré quelques pages excellentes à la révolution communale ; il nous a parfaitement montré le rôle de la royauté, qui favorisait, ailleurs que dans ses Etats, l’indépendance et la liberté des communes ; nous renvoyons aussi le lecteur à ce qu’il a écrit sur la constitution de l’armée française. « Le système militaire d’un pays, dit-il très-justement, est ordinairement l’expression de son état, et la composition de l’armée est l’image assez fidèle d’un peuple. » Et il nous retrace en quelques pages fortes et originales toute l’histoire de notre armée, depuis les Francs jusqu’à l’institution d’une armée permanente sous Charles VII. Enfin, M. Mignet termine par le règne de Louis XI, qui abattit définitivement la féodalité et consomma l’union entre toutes les provinces françaises. « Par la réunion du territoire et la fondation d’un gouvernement général, la royauté fit triompher le principe de la sociabilité, qui était le sien, du principe de l’individualité, qui était celui de l’époque féodale et par suite la règle de la force. Ces résultats ne furent atteints que peu à peu. Mais les tribunaux fondèrent la justice ; la permanence de l’armée conduisit à la discipline, la durée de l’administration à l’ordre, et la toute-puissance de la couronne à l’homogénéité de la nation. Il se forma des débris des anciennes classes un peuple nouveau qui s’avança, dès lors, lentement, mais sûrement, vers l’ère de la liberté politique et de l’égalité civile. » On peut ne pas partager l’opinion de M. Mignet sur les heureux résultats de la centralisation monarchique ; on peut regretter la ruine des libertés communales et provinciales qui auraient entretenu la vie politique dans le corps de la nation ; mais on est forcé de rendre justice à son talent, et tout le monde s’accordera pour admirer avec quelle science et quelle profondeur philosophique il a soutenu sa thèse.

France (Histoire littéraire de la) avant le xiie siècle, par J.-J. Ampère (3 vol., 1839-1840). Ce livre embrasse une période où il n’y avait encore ni littérature ni langue française. S’il y a contradiction entre le sujet et le titre de l’ouvrage, l’auteur a pu l’accepter d’après l’exemple des bénédictins, dont l’ouvrage, portant le même titre que le sien, n’arrive qu’après 12 volumes in-4º aux premiers monuments français. Comme les bénédictins, il a pensé que la connaissance des diverses cultures intellectuelles qui ont fleuri sur le sol gaulois devait précéder et éclairer l’étude et l’histoire de la littérature française proprement dite. L’auteur, qui, par sa méthode, est un critique historien, ne considère pas les œuvres littéraires comme des produits isolés de certains esprits ; mais, les rattachant à des antécédents et les rapprochant du milieu social, sans méconnaître la part du génie individuel, il s’applique à montrer le développement généalogique de ce fonds commun, moral et intellectuel, qui est, à chaque époque, le domaine de tous et le patrimoine de quelques--