Page:Launay, Dallet - La Corée et les missionnaires, 1901.pdf/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Comme les quelques rayons de lumière qui peuvent pénétrer dans la cuisine viennent expirer à l’entrée de la trappe, notre unique soupirail, le jour est remplacé par une lampe chinoise, qui, si elle éclaire peu, projette en revanche une épaisse fumée. Au reste, le tout serait sans inconvénient grave s’il nous était permis d’aller respirer sur le pont l’air bienfaisant et pur de la mer. Mais une infinité d’embarcations circulent autour de nous ; près de trois cents jonques stationnent à nos côtés, et il est plus que probable que plusieurs d’entre elles, corsaires déguisés, cherchent parmi leurs voisines une proie à leur rapacité. La tragique fin d’un de nos confrères jeté à la mer par ces pirates, l’an dernier, dans ces mêmes parages sonne trop haut pour que la prudence nous permette de laisser ébruiter notre présence. Nous nous condamnons donc à la reclusion dans notre sépulcre, et c’est là le côté le plus douloureux de notre position, car l’air, n’arrivant que médiocrement au fond de notre cale et après s’être chargé des vapeurs de la cuisine, ne peut être que lourd et morbide. Si vous ajoutez à cela que par le mauvais temps, ou même souvent avec la simple marée, les barques roulent de manière à imiter la danse de Saint-Guy, vous aurez une idée de notre félicité à bord.

« Cependant, comme le vent du nord souffle avec violence, il ne faut pas songer à partir ; il serait trop dangereux de s’engager en pleine mer sous de pareils auspices, Enfin, après de longs jours d’attente, la mousson favorable se fait sentir. Vous pensez avec moi qu’on va s’empresser d’en profiter. Mais, comme les pauvres marins se défient, et peut-être avec raison, de leur science personnelle, aucun d’eux n’ose trancher la question de l’arrivée du beau temps. On attend donc, jusqu’à ce qu’enfin quelqu’un ait la hardiesse de hisser une voile. Aussitôt tout le monde se met à l’œuvre avec une activité incroyable. Il s’élève de toutes parts un tohu-bohu propre à terrifier quiconque n’est pas familiarisé avec les manœuvres des Chinois. On s’éloigne au plus vite du mouillage, on tend toutes les voiles ; c’est à qui devancera ses voisins. Nous courons ainsi et assez vite, pendant douze ou quinze heures ; les barques, dispersées au loin sur la mer, font les préparatifs d’un long voyage, quand soudain l’une d’elles croyant entre-