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LE MÉNESTREL

lière du Roi, la somme de deux cents francs pour le concert qui a eu lieu le 3 février 1824 chez son A. Rle Madame la duchesse de Berry.

Liszt.

Paris, 4 mars 1824. »


Ceci se rapporte au premier séjour et aux premiers triomphes de Liszt à Paris, où il était venu sous la conduite de son père. Il devait avoir alors environ quatorze ou quinze ans.

Je trouve ensuite une lettre de Grétry, dont j’ignore le destinataire, et dont le style peint bien l’époque :

« M. Darancour, mon cher ami, voudrait vous consulter sur un rôle de grand-prêtre qu’il va jouer dans Elisca.

Vous, qui vous plaisez à ajouter quelques rayons à la faible auréole de ma musique, vous ne refuserez pas celui qui vous a tant d’obligations et qui vous embrasse de tout son cœur.

Grétry.
Paris, 26 mars 1812. »


On préparait en effet à ce moment, à l’Opéra-Comique, une reprise d’Elisca, qui eut lieu le 5 mai suivant.

Voici maintenant une pièce dont la forme est assez curieuse. C’est un certificat délivré en 1816 à Persuis par les trois anciens inspecteurs survivants de l’ancien Conservatoire :

« Nous soussignés, inspecteurs de l’enseignement dans l’ancien Conservatoire

de musique, certifions que Monsr Persuis (Louis) a été admis par la voir du concours professeur dans cet établissement le 7 novembre 1795 (16 brumaire an 4), avec les appointemens de 2.500 f, et qu’il a cessé d’exercer ses fonctions le 23 septembre 1802 (1er vendémiaire an XI), lors de la réforme opérée par le ministre de l’intérieur.

Paris, ce 5 juillet 1816.
Le Sueur, L. Cherubini, Méhul,
Certifié véritable :
Vinit,
Secrétaire de l’ancien Conservatoire.
 »


Pour se rendre compte de la valeur de ces mots : « ancien Conservatoire ». il faut se rappeler qu’à la rentrée des Bourbons en France, ledit Conservatoire, fruit de la Révolution et par conséquent œuvre détestable aux yeux des arrivants, avait été simplement supprimé, et que l’on songeait alors à le remplacer ( ?) par une « École royale de musique » réduite à sa plus simple expression. En ce qui touche Persuis, qui était titulaire d’une classe de violon dès la fondation, nous voyons, par le certificat ci-dessus, que son traitement annuel était de 2.500 francs. M’est avis que les professeurs actuels de violon ne seraient pas fâchés de voir élever le leur à ce chiffre. Cette même salle 31 est complétée par la collection de M. Vieille, qui comprend un certain nombre d’estampes diverses : costumes, décors, vues de théâtres, etc., et surtout une pièce précieuse, le Chant du combat, de Rouget de Lisle, écrit de la main même de l’auteur.

Dans la salle 24, une énorme et double vitrine à hauteur de l’œil, qui tient tout le milieu de la salle, renferme la collection absolument superbe de M. Louis Bihu. D’une part, une série nombreuse et choisie de portraits de cornéliens du dix-huitième siècle, en grand format et en épreuves de toute beauté : Préville, Lekain, Volange, Mlle Desmares, Sophie Arnould, Mlle Favart, Mlle Clairon et bien d’autres. En second lieu, toute une suite de caricatures anglaises coloriées, du dix-huitième siècle aussi, ayant le théâtre pour objet, et qui sont évidemment d’une excessive rareté. Les amateurs feront bien d’accorder à cette curieuse collection toute l’attention qu’elle mérite.

Tout auprès, M. Eugène Bertrand, directeur de l’Opéra, a exposé plusieurs cadres intéressants renfermant de fort jolies vues d’anciens théâtres, entre autres de celui des Variétés à l’époque de sa construction, et toute une série très amusante, sur une seule feuille, des costumes du Panorama de Momus, le prologue joué le 24 juin 1807 pour l’inauguration de la salle du boulevard Montmartre. On voit que M. Bertrand s’est intéressé à ce théâtre, dont il a été longtemps le directeur. Un peu plus loin, c’est M. Montagne qui nous montre un jeu de cartes très curieux, dont les figures présentent les portraits de comédiens du temps dans les costumes de leurs meilleurs rôles. En voici le détail : Pique. Roi : Talma, dans Néron de Britannicus ; dame : Mlle Leverd, dans Célimène du Misanthrope ; valet : Valère, dans Richard de Robin des Bois (Odéon). Cœur. Roi : Nourrit, dans Tarare de Tarare ; dame : Mlle Grassari, dans Amazili de Fernand Cortez ; valet : Potier, dans Jacques du Conscrit. Trèfle. Roi : Laïs, dans Aristippe d’Aristippe ; dame : Mme Valère, dans Anna de Robin des Bois ; valet Lecomte, dans Almaviva du Barbier (Odéon). Carreau. Roi : Huet, dans le Calife du Calife de Bagdad ; dame : Mlle Brocard, dans Alicea de Jane Shore ; valet : Lepeintre, dans Birbeth de Trilby. La date de la publication de ce jeu de cartes nous est fournie indirectement par ce fait qu’il constate l’existence de l’Odéon comme théâtre lyrique, soit entre 1825 et 1829.

Dans cette même salle 24 nous rencontrons encore une assez nombreuse collection d’estampes : portraits et vues d’anciens théâtres, celles-ci surtout intéressantes appartenant à M. Paul Blondel, et une collection du même genre, mais inégale par la valeur des pièces, et qui gagnerait à être émondée, dont le propriétaire est M. Saffray.

(A suivre.)

Arthur Pougin.

ANTOINE BRUCKNER

Un des grands compositeurs contemporains, Antoine Bruckner, vient de succomber subitement, à Vienne, dans l’après-midi du 11 octobre, aux suites d’une grave maladie de cœur qui le torturait depuis quelques années déjà. La mort a été plus clémente pour le vieux musicien que sa longue vie ; elle l’a cueilli sans aucune souffrance, presque sans aucun avertissement. La veille de sa mort, Bruckner avait encore fait une promenade dans le beau jardin français qui entoure le palais impérial du Belvédère, dans les communs duquel la fille de l’empereur, l’archiduchesse Marie-Valérie, lui avait fait installer une délicieuse demeure. Et le jour même de sa mort il s’était encore levé comme d’habitude, et avait médité longuement dans le fauteuil de son cabinet, d’où il jouissait d’une vue superbe. Dans l’après-midi il s’était couché et avait demandé une tasse de thé ; après en avoir bu la moitié, il retomba sur son lit, soupira profondément et ne se réveilla plus.

La carrière de Bruckner a été des plus singulières et des moins heureuses. Il était né le 4 septembre 1824 à Ansfelden, village de la Haute-Autriche où son père était maître d’école. À l’âge de onze ans il était orphelin et recueilli, comme enfant de chœur, par le chapitre de l’abbaye de Saint-Florian (Haute-Autriche), où il reçut une forte éducation musicale. À dix-sept ans on le plaça comme aide du maître d’école de Windhag (Haute-Autriche) avec cent sous d’appointements mensuels. Pour exister, le jeune musicien fut obligé de faire aussi fonction de ménétrier ; aux noces et fêtes patronales des environs de son village il raclait souvent du violon pendant des nuits entières. Un hasard heureux le fit remarquer par Sechter, un célèbre théoricien de l’art musical, qui découvrit en Bruckner, devenu organiste à Saint-Florian, une âme d’artiste et lui prodigua ses conseils. Après le dernier examen de Bruckner, un de ses examinateurs, le compositeur et chef d’orchestre Herbeck, qui devint plus tard directeur de l’Opéra impérial de Vienne, s’exclama : Mais ce garçon en sait dix fois autant que moi ! et lui procura la place de suppléant d’organiste à la chapelle impériale, dont il devint plus tard le titulaire. Peu de temps après cette bonne fortune il fut nommé professeur de contrepoint, d’harmonie et d’orgue au Conservatoire de Vienne et professeur de composition musicale à l’Université de cette ville. Il remplit ces fonctions presque jusqu’à l’âge de soixante-dix ans. À cet âge avancé, l’empereur François-Joseph le décora, l’Université de Vienne lui conféra le titre de docteur honoris causa et la Diète de la Haute-Autriche lui octroya une pension décente. Ses dernières années furent donc relativement heureuses ; il paraît même que, célibataire, il a pu économiser une trentaine de mille francs qu’il a légués à ses collatéraux et à la vieille bonne qui l’avait soigné jusqu’à la fin.

Pendant longtemps on ne parla de Bruckner que comme organiste. Sa connaissance profonde du contrepoint et du répertoire de l’orgue et sa faculté prodigieuse d’improvisation sur cet instrument ont toujours émerveillé ses confrères. À Paris, à Londres et à Nancy il avait excité l’admiration des connaisseurs par ses improvisations et la puissance de son jeu ; en Allemagne, on n’hésita pas à dire que Bruckner était le plus grand organiste que le monde avait vu depuis J.-S. Bach. Mais le public ignora longtemps que Bruckner était un compositeur infatigable, qui amassait dans ses cartons des partitions qu’il ne réussissait pas à faire jouer. Il est vrai qu’il avait obtenu, en 1864, un prix pour un chœur à voix d’hommes et qu’il pouvait jouer à Saint-Florian sa propre musique sacrée, surtout sa messe en mineur ; mais déjà, en 1865, Bruckner avait composé sa première symphonie, en ut mineur. En 1868 il la fit jouer à Linz ; l’exécution en fut tellement défectueuse que Bruckner profondément découragé ne travailla plus pendant quelque temps. Il sortit de cet état d’abattement pour composer sa célèbre messe en fa mineur. En 1872 sa