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LE TOUR DU MONDE.

LD

Bientôt. une bonne brise souffle du nord-est, et notre bateau trop chargé, s’enfonce entre les lames, en écrasant des paquets d’écume. Les avaries ordinaires du mauvais temps recommencent : hublots éventrés, ponts qui laissent passer l’eau entre Îcurs virures mal jointes, lits mouillés, désordre partout. Des grains de pluie grisaillent pendant deux jours notre horizon puis. peu à peu, le vent calmit ; une petite houle d’un vert pâle nous permet de nous reposer, et un matin, encore toute noyéc dans les nuages qui ne se sont pas complètement dissipés, la pyramide bleue de l’ile Smith apparait droit devant. Quelques heures après nous pouvions admirer, dans un ciel absolument pur, les nuances variées de ses découpures de neige. Ce fut comme l’entrée magique dans un temple légendaire. Il est impossible d’évoquer par des mots les tons adoucis qui s’harmonisent depuis les cimes dorées d’où dégringolent des pentes pures sans tache, jusqu’à la falaise de glace toute crevasséc de bieus profonds. Nous répétons : « C’est magnifique !» Et c’est eneffet d’une beauté tellement peu habituelle que nous ne pouvons pas exprimer notre admiration en termes précis. On comprend que ces pays glacés excercent une sorte de fascination et que ceux qui les ont vus ne songent qu’à y revenir, Moi-méme, alors, je m’étonne. Je n’avais jamais pensé que ces terres fussent aussi près de nous. Comment, c’est là-bas l’ile Iloseason, qui traine, comme au bout d’un fil, la pyramide tronquée du cap Possession, c’est là-bas, le détroit de Gerlache ; ce sont ces crêtes roses, les terres qu’a découvertes Dumont d’Urville et que Nordenskjold à explorécs récemment ; c’est à peine à une journée de traversée, l’ile Wandel où Charcot a hiverné ! Et nous ne sommes qu’à quatre jours du cap Ilorn, quatre jours sur notre petit navire à la marche si lente ! Aussi près de nous, ces terres, et tellement mystérieuses !

Majestueux et superbes, des icebergs découpés en grottes d’azur que la mer calme et vernie reflète en zigzags glauques, des icebergs énormes défilent à côté de nous, hérissant le lointain de coupoles et de tables blanches. Des baleines passent en soufflant, ou plongent en relevant lentement leur queue alourdie au-dessus de l’eau ; des rochers isolés découpent leurs silhouettes bizarres et abruptes sur le ciel ; des pingouins se hâtent vers le rivage semblables à de petits dauphins fuyant devant l’ennemi ; des damiers volent en troupes en donnant à l’œil l’impression fugitive d’un treillis ; devant nous, l’île Déception dresse ses falaises couvertes de neige ou rougies par les rockeries, dans la lumière dorée du jour qui ne finit plus : c’est toute l’Antarctique qui se révèle à nous.

Entre les hautes montagnes de la Terre de Danco et les îles couvertes de neige de l’archipel Palmer, sur une mer tranquille et bleue, en bousculant de temps en temps des petits blocs de glace qui lui enlèvent sa peinture rouge, le Pourquoi-Pas ? s’avance lentement, aux 125 tours de sa machine, dont on entend très distinctement les halètements dans ce calme détroit de Gerlache. La parfaite harmonie des tons semble la caractéristique du paysage antarctique. Dans ces montagnes de glaces et de neige, le soleil n’arrive pas à faire des ombres trop vives qui exagéreraient le relief, déjà si bouleversé. Au contraire, partout, des tons verts ou bleus, adoucis, transparents ; des petites découpures roses, que le soleil, vers onze heures du soir cerne d’un liséré d’or ;

des plans de neige

éblouissante qui sé-

chafaudent jusqu’à se

découper très haut, en

ligne nette, sur le bleu

du ciel ; des pics de

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blanche et sur lesquels

des petits filets de

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gringolent dans les

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ITINÉRAIRE GÉNÉRAL DU &« POURQUOI-PAS ? » (D’APRÈS LA CARTE DE M. BONGRAIN).

neige prennent des tons vert pâle, un peu gris ; les icebergs dont on ne voit plus que les découpures principales, ressemblent à des onyx aux cassures rudes, l’œil n’est plus ébloui et distingue dans les rochers des rainures vertes ou rouges, la mer s’assombrit, les risées, qui descendent des montagnes, tracent sur elle des moirures noires, qui se propagent lentement, s’éteignent, puis renaissent ailleurs, incessamment.