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NOTE.

Si tous les nombres sont différents, si l’ensemble de ces nombres est ordonné dans le sens des croissants, par exemple, convenons de dire que note le type d’ordre de cet ensemble.

Ce que nous avons fait au paragraphe précédent relativement à la construction de suites d’ordre montre que tout nombre transfini est noté par certains points , mais cette notation est très imprécise : au même nombre correspond une infinité de points . Pour que cette notation se rapproche par ses propriétés des notations ordinaires il faudrait qu’à chaque nombre transfini nous ayons pu attacher une suite bien déterminée[1], donc un nombre bien déterminé[2].

On est ainsi conduit à se demander s’il est possible de nommer un ensemble pris dans (0, 1) et tel qu’il existe une correspondance biunivoque entre les points de et les nombres de . Ce problème a préoccupé bien des mathématiciens ; on a affirmé plusieurs fois qu’on pouvait prendre pour l’intervalle (0, 1) lui-même. Mais la question est loin d’être élucidée[3]. Pour nous, d’ailleurs, tout ceci est accessoire, car il est clair que ce mode de représentation des nombres transfinis ne nous aiderait guère à les bien concevoir.

Pourtant cette pseudo-notation remplit l’une des conditions essentielles d’une notation. À quoi sert, en effet, la numération des entiers ? Elle n’intervient jamais dans les raisonnements, sauf bien entendu, ceux qui concernent la numération elle-même ; mais elle permet de caractériser le nombre dont on veut parler, s’il n’est pas trop grand, c’est-à-dire qu’elle permet de construire, qu’elle détermine, un ensemble bien ordonné fini semblable à celui dont on s’occupe. Quand on nous parle du nombre 3, nous savons qu’il va s’agir d’ensembles semblables à celui-ci : III, et quand nous raisonnons sur le nombre trois, nous faisons des raisonnements s’appliquant à tous les ensembles bien ordonnés semblables à cet ensemble de traits. Toutes les fois que nous raisonnons sur un entier, donné de quelque manière que ce soit, nous sommes dans des circonstances analogues.

Dès lors, il est clair que nous pourrions nous passer de la notion et du mot nombre ; la notion plus tangible de suite ordonnée et finie d’objets nous suffirait. Exactement de la même manière, supposer un nombre transfini donné c’est supposer déterminé un ensemble bien ordonné dénombrable ; raisonner sur ce nombre, c’est faire des raisonnements s’appliquant indifféremment à tous les ensembles semblables à celui-ci. La notion et le

  1. La suite que nous avons appelée n’est déterminée que si l’est, quand est de première espèce ; quand est de seconde espèce la définition que nous avons donnée de supposait que les nombres inférieurs à avaient été rangés d’une manière déterminée, en suite simplement infinie.
  2. Pour que soit bien déterminé quand l’est, il faut prendre quelques précautions, d’ailleurs élémentaires, pour tenir compte de ce que les nombres décimaux ont deux développements décimaux.
  3. Dans un Mémoire tout récent, auquel je ne puis que renvoyer le lecteur, M. Hilbert est revenu sur la question (Sur l’infini, Acta mathematica, t. 48).