Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

subi un dommage énorme. Une fortune devait être dissimulée dans le double-fond d’un tiroir, et c’était la raison pour laquelle le jeune homme, connaissant la cachette, avait agi avec une telle décision.

— Cette fortune, disait-il à Suzanne, je te l’aurais réservée. Avec une pareille dot, tu pouvais prétendre aux plus hauts partis.

Suzanne, qui bornait ses prétentions à son cousin Maxime, lequel était un parti pitoyable, soupirait amèrement.

Deux mois se passèrent. Et soudain, coup sur coup, les événements les plus graves, une suite imprévue d’heureuses chances et de catastrophes !

Le premier mai, à cinq heures et demie, M. Gerbois lut dans un journal du soir :

« Troisième tirage de la loterie des Associations de la Presse.

« Le numéro 514, série 23, gagne un million… »

M. Gerbois eut un étourdissement. Les murs vacillèrent devant ses yeux, et son cœur cessa de battre. Le numéro 514, série 23, c’était son numéro ! Il l’avait acheté, plutôt pour rendre service à l’un de ses amis, car il ne croyait guère aux faveurs du destin, et voilà qu’il gagnait !

Vite, il tira son calepin. Le numéro 514, série 23, était bien inscrit, pour mémoire, sur la page de garde. Mais le billet ?

Il bondit vers son cabinet de travail pour y chercher la boîte d’enveloppes parmi lesquelles il avait glissé le précieux billet, et dès l’entrée il s’arrêta net, chancelant de nouveau et le cœur contracté : la boîte d’enveloppes ne se trouvait pas là, et, chose terrifiante, il se rendait subitement compte qu’il y avait des semaines qu’elle n’était pas là !

— Suzanne ! Suzanne !

Elle arrivait de course. Elle monta précipitamment. Il balbutia d’une voix étranglée :

— Suzanne… la boîte… la boîte d’enveloppes ?…

— Laquelle ?

— Celle du Louvre… que j’avais rapportée un jeudi… et qui était au bout de cette table.

— Mais rappelle-toi, père… c’est ensemble que nous l’avons rangée…

— Où ? réponds ! tu me fais mourir.

— Où ? mais… dans le secrétaire.

— Dans le secrétaire qui a été volé ?

— Oui.

— Dans le secrétaire qui a été volé !

Il répéta ces mots tout bas, avec une sorte d’épouvante. Puis il lui saisit la main, et d’un ton plus bas encore :

— Elle contenait un million, ma fille…

— Ah ! père, pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? murmura-t-elle naïvement.

— Un million ! reprit-il, c’était le numéro gagnant des bons de la presse.

Elle réfléchit et prononça :

— Mais, père, on te le paiera tout de même.

— Pourquoi ? sur quelles preuves ?

— Tu n’en as pas ?

— Si, une, qui était dans la boîte !

— Et alors ?

— Alors, c’est l’autre qui touchera.

— Mais ce serait abominable ! Voyons, père, tu pourras t’y opposer ?

— Est-ce qu’on sait ! est-ce qu’on sait ! cet homme doit être si fort ! il dispose de telles ressources… Souviens-toi… l’affaire de ce meuble…

Il se releva dans un sursaut d’énergie, et frappant du pied :

— Eh bien non, non, il ne l’aura pas, ce million, il ne l’aura pas ! Pourquoi l’aurait-il ? Après tout, si habile qu’il soit, lui non plus ne peut rien faire. S’il se présente pour toucher, on le coffre !… on le coffre ! Ah ! nous verrons bien, mon bonhomme !

Quelques minutes plus tard, il expédiait cette dépêche :

« Gouverneur Crédit Foncier,
« rue Capucines, Paris

« Suis possesseur du numéro 514, série 23, mets opposition par toutes voies légales à toute réclamation étrangère.

Gerbois. »

Presque en même temps parvenait au Crédit Foncier cet autre télégramme :

« Le numéro 514, série 23, est en ma possession. — Arsène Lupin. »



Arsène lupin prend un avocat pour soutenir ses droits


Chaque fois que j’entreprends de raconter quelqu’une des innombrables aventures dont se compose la vie d’Arsène Lupin, j’éprouve une véritable confusion, tellement il me semble que la plus banale de ces aventures est connue de tous ceux qui vont me lire. De fait, il n’est pas un geste de notre « voleur national », comme on l’a si joliment appelé, qui n’ait été signalé de la façon la plus retentissante, pas un exploit que l’on n’ait étudié sous toutes ses faces, pas un acte qui n’ait été commenté avec cette abondance de détails que l’on réserve d’ordinaire au récit des actions héroïques.

Qui ne connaît, par exemple, cette étrange histoire de « La Dame blonde », avec ces