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elle donc le devoir de l’homme, qu’il s’en forge à loisir ? Pourquoi son front sanglant implore-t-il d’autres couronnes d’épines ? Pourquoi souffre-t-il de rien ? Hélas ! l’homme, ce grand souffrant, est un créateur de souffrance. Chaque jour, il dresse sa croix, et lui-même il s’y cloue.

Océan de larmes, tempêtes de hurlements, abîmes où retentissent les cris, les sanglots, les prières et les malédictions, exodes des condamnés à vivre qui, du berceau à la tombe, se traînent à genoux et les mains jointes, il vit tout, il entendit tout, il comprit tout.

Il fut épouvanté. L’excès du mal l’écrasait. Il y a trop de détresses autour de nous pour que la haine ne s’évanouisse pas chez celui qui les observe. Il n’eut plus la force de porter le poids des souvenirs accumulés, et le chuchotement des confessions tremblantes ne le réchauffait plus comme jadis.

Et il s’aperçut soudain qu’il était saturé de tristesse. Ainsi que la brume du soir pénètre dans la chair, qui se crispe, la douleur humaine, s’insinuant à travers sa rancune, avait rempli son âme de froid et de terreur. Des rêveries mélancoliques l’assaillirent. Maintenant, le spectacle d’un souci lui causait un frisson pénible.

Dès lors, il était digne de connaître la pitié. Bienfaisante et douce, elle descendit en lui, peu à peu, comme une récompense qu’il faut mériter par ses efforts. Elle le délivra de ses méchants instincts, de ses révoltes stériles, de sa sécheresse et de son amertume. Elle le régénéra.

Et ce fut à son insu, tout naturellement qu’un jour de ses lèvres coula le baume des bonnes paroles. Oh ! le regard de l’homme dont ainsi il soulagea la blessure, ce regard de remerciement