Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA VIERGE



Les Canu, rentiers à Yvetot, jouissaient d’une grande considération. M. Canu présidait la fabrique. Madame Canu possédait une piété implacable. Leur fille, Armande, inspirait le respect par sa maigreur.

Le seul chagrin des Canu provenait du célibat de cette fille. D’une dévotion outrée et de tournure rébarbative, elle n’attirait point les prétendants. Au fond elle en souffrait, elle aussi. C’était une âme aimante que tourmentaient malheureusement une infinité de scrupules. Pour une peccadille, une distraction à l’église ou un petit mensonge involontaire, elle se créait des remords cruels. Elle péchait par excès d’honnêteté, ce qui la rendait dure pour les fautes d’autrui et, en conséquence, peu sympathique.

Elle était née le jour des Rois. Or, quand elle atteignit vingt-cinq ans, les Canu offrirent en son honneur un repas somptueux à leurs amis. Une gaieté de bon aloi régna. On mangea beaucoup. Le gâteau traditionnel excita l’admira-