Page:Leblanc - Contes Heroïques, parus dans Le Journal, 1915-1916.djvu/62

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La guerre le surprit en pleine épopée. Il n’eut pas une seconde d’hésitation : par le premier train où il put trouver de la place il fila vers le fin fond de la Bretagne, loin des villes, loin des bureaux de recrutement et des conseils de révision, et il s’installa modestement dans une toute petite auberge, avec l’espoir que la France saurait bien se passer de ses services et ne l’obligerait pas à sortir son épée du fourreau.

Il vécut là des jours paisibles, partageant ses loisirs entre la pêche et de longues promenades, où il déclamait en plein air ses rôles favoris. Il ne lisait jamais de journaux. À quoi bon s’attrister ou se réjouir de nouvelles qui ne le concernaient pas et qui ne pouvaient pas le concerner ? Tout cela se passait dans un monde lointain, où il était farouchement résolu à ne jamais pénétrer. On s’y bat, on y souffre de privations horribles et de blessures atroces. On y meurt. Autant de perspectives qui lui donnaient la chair de poule.

Il attendait ainsi sans trop d’impatience la fin d’un état de choses qui lui permettrait tout au moins de voir quelle fermeté d’âme il opposait aux bouleversements et aux révolutions, lorsqu’il reçut, un après-midi la visite inopinée d’un gendarme porteur de papiers effroyables. Le sieur Dorgeval Hippolyte, de la classe 1894, était convoqué tel jour, à telle heure, devant le conseil de révision.

La terreur le cloua au lit, tremblant de fièvre, durant une semaine. Puis, ce fut la série des cataclysmes. Malgré quelques varices et une faiblesse de cœur dont il se glorifia d’une voix triomphale, quoiqu’il jurât à ses messieurs du conseil qu’il ferait un excellent auxiliaire, il fut versé dans le service armée.