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d’une bâche, et que conduisait un paysan vêtu d’une ample limousine et coiffé d’un béret basque.

Il monta d’autorité, et d’un ton impérieux :

— Cinq francs si l’on arrive au train.

Le paysan ne parut pas s’émouvoir et ne cingla même point la chétive haridelle qui bringuebalait entre des brancards trop larges.

Le trajet fut long. On n’avançait pas. On eût dit au contraire que le paysan retenait sa bête.

Marescal enrageait. Il avait perdu tout contrôle sur lui-même et se lamentait :

— Nous n’arriverons pas… Quelle carne que votre cheval… Dix francs pour vous, hein, ça colle ?

La contrée lui paraissait odieuse, peuplée de fantômes et sillonnée de policiers aux trousses du policier Marescal. L’idée de passer la nuit dans ces régions où gisait le cadavre de celle qu’il avait envoyée à la mort était au-dessus de ses forces.

— Vingt francs, dit-il.

Et tout à coup, perdant la tête :

— Cinquante francs ! Voilà ! Cinquante francs ! Il n’y a plus que deux kilomètres… deux kilomètres en sept minutes… sacré nom, c’est possible !… Allons, crebleu, fouettez-la, votre bique !… Cinquante francs !…

Le paysan fut pris d’une crise d’énergie furieuse et se mit, comme s’il n’avait attendu que cette proposition magnifique, à frapper avec tant d’ardeur que la bique partit au galop.