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combien ils étaient irréels et puérils à côté des vrais acteurs de l’humaine tragédie.

Pressé de rassurer Folette, il courut, encore qu’il fût exténué, jusqu’au moulin. Il était assez fier de lui. Et comme Folette l’allait remercier ! Comme elle allait être heureuse !

Mais… au fait… non ! À quoi pensait-il donc ? Il ne fallait pas voir Folette. Elle le presserait de questions ! Il ne saurait que dire. Et puis, Mme Boisgarnier ne lui avait-elle pas appris qu’on ne devait jamais se vanter d’une bonne action ?

Un peu triste de savourer tout seul son triomphe, l’enfant, quand il fut au moulin, déposa la cassette en soupirant dans le petit panier aux provisions que la bise s’amusait à bercer sous la fenêtre. Il repassa le bac et, comme s’il avait été le voleur lui-même, il se sauva à toutes jambes pour que Folette ne le vît point. Celle-ci, d’ailleurs, demeura également invisible.

— Ah ! te voilà, enfin ! D’où viens-tu donc ? Tu as l’air éreinté !

C’était Violette qui — un peu oublieuse de ses rancunes — s’exprimait ainsi quand Pierre manqua de se cogner contre elle dans le chemin où elle se promenait toute seule.

— Un peu fatigué, c’est vrai, mais bien heureux, fit Pierrot. J’ai rapporté à Folette la cassette qu’on m’a remise.

— Ah ! Est-ce possible ! est-ce possible ? On t’a remis la cassette ? Où, ça ? Comment ? Quand ? Pourquoi ? Qui ? Raconte, mais raconte donc vite, vite !

— Non, ma petite Violette, fit gravement Pierre. Fais-moi un grand plaisir. Ne me demande rien là-dessus… Ne me demande rien, jamais !

— T’es bête ! Mais pourquoi donc ?

— Pourquoi ? Parce que je n’ai pas le droit de te répondre. Je n’ai le droit de dire ça à personne.

— À personne ? Tu veux rire.

— Oh ! non, à personne !

— Pas même à ta mère ?

— Non ! Pas même à maman !

… Quand Pierre rentra avec une heure de retard pour le déjeuner, Mme Boisgarnier le gourmanda quelque peu :

— Jamais, mon Pierrot, jamais tu ne seras raisonnable ! Regarde, dit-elle, dans quel état tu t’es mis en allant jouer dans les champs ! Si tu recommences, tu seras privé de dessert. Pour aujourd’hui, je te pardonne !



XVIII

Les grandes leçons de la vie


Pierre fut un peu long à se remettre de ces émotions successives. Les fatigues et les chocs avaient meurtri ses membres comme d’une avalanche de coups appliqués par un régiment de lutins. Aussi, pendant les jours qui suivirent, demeura-t-il tantôt seul, tantôt avec sa mère, tantôt avec Violette, dans un repos presque absolu, humant l’air, respirant l’odeur des herbes fraîches. En regardant courir les nuages roses dans le ciel du soir après l’incendie du jour, il demeurait pensif, examinant en lui-même les multiples pensées qui, comme un battant de cloche désordonné, s’agitaient dans son cerveau en fièvre.

— Comme tu as l’air sérieux ! comme tu grandis ! lui disait souvent sa mère avec tendresse.

Pierrot était fier, car il se sentait