Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t2, 1887.djvu/332

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Rien n’y semblait changé des choses bien connues
Dont le charme autrefois bornait mon horizon :
Les arbres familiers, le long des avenues,
Semaient leurs feuilles d’or sur le même gazon ;

Le berceau de bois mort qu’un chèvrefeuille enlace,
Le banc de pierre aux coins par la mousse mordus,
Ainsi qu’aux anciens jours tout était à sa place
Et les hôtes anciens y semblaient attendus.

Ma mère allait venir, entre ses mains lassées
Balançant une fleur sur l’or pâle du soir ;
Au pied du vieux tilleul, gardien de ses pensées,
Son Horace à la main, mon père allait s’assoir.

Tous deux me chercheraient des yeux dans les allées
Où de mes premiers jeux la gaîté s’envola ;
Tous deux m’appelleraient avec des voix troublées
Et seraient malheureux ne me voyant pas là.

J’allais franchir le seuil : — C’est moi, c’est moi, mon père !…
Mais ces rires, ces voix, je ne les connais pas.
Pour tout ce qu’enfermait ce pauvre enclos de pierre,
J’étais un étranger !… Je détournai mes pas…

Mais, par-dessus le mur, une aubépine blanche
Tendait jusqu’à mes mains son feuillage odorant.
Je compris sa pitié ! J’en cueillis une branche,
Et j’emportai la fleur solitaire en pleurant !


(Les Ailes d’Or)