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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
Éveillons au hasard les échos de ta vie ;
Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,
Et que ce soit un rêve, et le premier venu !
Inventons quelque part des lieux où l’on oublie !
Partons ! nous sommes seuls, l’univers est à nous.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant,
Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi ! quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ?
D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,
Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,
Secouait des lilas dans sa robe légère,
Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ?
Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ?
Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ?
Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ?
Jerterons-nous au vent l’écume du coursier ?
Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre
De la maison céleste, allume, nuit et jour,
L’huile sainte de vie et d’éternel amour ?
Crierons-nous à Tarquin : « Il est temps, voici l’ombre ! » 
Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?
Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?
Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?
Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?
La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ;