Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t1, 1887.djvu/388

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
362
ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Je sais que je n’étreins qu’une forme fragile,
Qu’elle peut à l’instant se glacer sous ma main,
Que ce cœur tout à moi, fait de flamme et d’argile,
                    Sera cendre demain ;

Qu’il n’en sortira rien, rien, pas une étincelle
Qui s’élance et remonte à son foyer lointain :
Un peu de terre en hâte, une pierre qu’on scelle,
                    Et tout est bien éteint.

Et l’on viendrait serein, à cette heure dernière,
Quand des restes humains le souffle a déserté,
Devant ces froids débris, devant cette poussière,
                    Parler d’éternité !

L’éternité ! Quelle est cette étrange menace ?
À l’amant qui gémit, sous son deuil écrasé,
Pourquoi jeter ce mot qui terrifie et glace
                    Un cœur déjà brisé ?

Quoi ! le ciel, en dépit de la fosse profonde,
S’ouvrirait à l’objet de mon amour jaloux ?
C’est assez d’un tombeau, je ne veux pas d’un monde
                    Se dressant entre nous.

On me répond en vain pour calmer mes alarmes :
« L’être dont sans pitié la mort te sépara,
Ce ciel que tu maudis, dans le trouble et les larmes,
                   Ce ciel te le rendra. »

Me le rendre, grand Dieu ! mais ceint d’une auréole,
Rempli d’autres pensers, brûlant d’une autre ardeur,
N’ayant plus rien en soi de cette chère idole
                 Qui vivait sur mon cœur !