Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ruée aux baisers et aux carnages ; bien plus, elle est la fille peinte, aux cheveux d’or, aux joues livides, à la bouche de vin et de sang ; elle est la Bête machinale, tentaculaire et homicide, Omphale, Dalila et Circé.

Rops reprend donc l’être sexuel là où le laissa Rodin : il le continue selon la conjecture péjorative de sa part des dominations sociales. L’œuvre d’art, au surplus, n’a rien à voir avec la notion courante de la décence et de la morale : elle est à elle-même sa philosophie et sa moralité. Comme le sexe, dans son principe éternel et divin, en dehors des théologies et des barbares casuistiques, est la fleur centrale, primordiale, essentielle et admirable de la vie, lotus révéré des cultes antiques, l’art demeure religieux et soumis à sa prédestination sacrée en gardant à l’attribut sexuel la place qu’il a par rapport à la vie et à la nature. Tout le reste est controverse vaine, indigne d’un état de haute civilisation : il suffit que l’artiste n’outrepasse pas sa conscience, seule juge au tribunal du grand art libre des maîtres.

Le pessimisme d’un Rops, son sens des perversions de l’amour, la cruauté de son génie, en extériorisant l’autre aspect de la muliébrité, sa face noire et maléfique, s’accordent avec ses puissances de vision et de sensibilité personnelles. Si l’ange s’écarte en pleurant des régions épouvantables où règne l’éternel ennemi, cela ne préjudicie en rien à sa haute probité d’artiste : on sent que son concept d’art est déterminé par sa psychopathie et il y demeure aussi grand, dans l’ordre providentiel des esprits, que s’il avait été poussé à représenter le ministère bienfaisant et auguste de la Femme. On se place ici, naturellement, au point de son art véritable, de celui auquel il se voua après des périodes orageuses ; l’autre ne fut qu’un passage. Mais là, pour le redire, il se trouva comme au centre de sa cérébralité même, dure, violente, inhumaine, s’accordant par moments à la mentalité d’un Loyola dans la subtilité perverse de ses casuistiques et tourmentant la chair, la fourgonnant avec tout l’arsenal des instruments de supplice d’un Grand Inquisiteur.