Page:Lemonnier - Félicien Rops, l’homme et l’artiste.djvu/27

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Toute la matière de vie que peut contenir un jeune cerveau tourmenté de l’inconnu du monde, il dut l’absorber dès cette époque. Il fut le petit docteur Faust qui, par delà le réel, vit déjà la conjecture illimitée des sensations et de la découverte. Comme chez Balzac enfant, tout passa, le bon et le mauvais, gorgeant la cornue en attendant la distillation finale. Ce fut la cueillette de toutes les herbes de la Saint-Jean en attendant la cuisson dans le chaudron des sorcières de Macbeth. On ne devient, du reste, le Cagliostro qu’il fut dans les sciences de l’art et de la vie qu’à travers les pratiques d’une anormale et opiniâtre alchimie spirituelle. Rops eut l’éréthisme du cerveau d’où résulte un état de mentalité hallucinée et qui donne naissance aux phantasmes.

Ce que dut être un tel ardent jeune homme aux heures augurales de la formation, la trajectoire même de toute sa vie suffit à l’indiquer. Comme les maîtres et les dominateurs, il sentit tout jeune le monde s’éveiller à travers l’inquiétude de celui qu’il portait en soi. Son art, sa gloire et son génie tressaillent à l’avance dans l’immense désir confus qui lui fait tendre les bras à la chimère. Attendez que dix années se passent et du coup le voilà devant le mystère humain, debout et splendide, avec la large entaille que l’épée de l’Archange met aux fronts de qui doit ruisseler une surnaturelle lumière.


Il y avait alors dans la rue aux Laines, à Bruxelles, un petit atelier libre et qui s’appelait l’Atelier Saint-Luc. On y était une douzaine qui, à frais communs, payaient le modèle et le combustible : ce fut la petite classe où de jeunes peintres, dont plusieurs devaient être des maîtres, arrivaient prendre les leçons de la nature. Une épaule remontée, grosse tête et petit corps, Constantin Meunier, qui faisait alors ses premières études de sculpteur, s’interrompait de masser ses glaises pour moucher un rhume de cerveau qu’il garda toute la vie. Il savait, au surplus, correctement crayonner