Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pâle fendit l’azur, semblable à l’éclair d’une lance. L’aurore pointa sous bois, rejaillissant en éclats d’étincelles comme un fer passé sur la meule. Puis une illumination constella les hautes branches, ruissela en égouttements sur les troncs, alluma les eaux au fond des clairières, tandis que des buées violettes s’allongeaient dans le beau ciel. Au loin, une lisière de futaie semblait fumer dans un brouillard rose. Et la plaine était toute pommelée d’arbres en fleur qui, chaque instant, s’éclairaient un peu plus.

Une tiédeur détendit alors les choses. Les feuillées se déroulèrent ; des fleurs s’ouvrirent avec un bruit soyeux d’éventails ; une poussée vers la lumière fit bouger les branches d’un mouvement incessant. Ce fut une ivresse. Les arbres semblaient étreindre le matin dans leurs ramures étendues comme des bras.

Subitement, le soleil creva le ciel. Une bousculade sembla refouler l’ombre dans le bois. La clarté, comme un ennemi qui prend possession, se débanda, s’épandit par gerbes, par torrents, bouchant tous les trous, mettant la déroute dans les taillis, éclaboussant tout de ses ondées magnifiques. Le ras du sol scintilla dans un ensoleillement de rosée, et la lumière, se haussant par-dessus le bois, gagna les vergers, les fermes, couvrit d’une blondeur vermeille une large étendue de pays.

Maintenant, la rumeur s’augmentait de tous les bruits des nids. Un frémissement ailé battait le bois. Des jacassements attachaient d’un arbre à l’autre des traînées sonores. Les merles sifflotaient ; les pies, les bouvreuils, les linottes, les mésanges, les pinsons, les fauvettes, les rouges-gorges stridaient, susurraient, strettaient, faisaient un surprenant cailletis coupé du coassement saccadé des corbeaux, et cela montait dans l’air avec des ralentissements, des reprises, des silences tout à coup suivis d’un tutti d’instruments jouant à l’unisson.